eux qui ignoraient se regardaient aussi effares et surpris
que les gens de noblesse, comme une trainee de poudre, volant de bouche
en bouche, le bruit se repandit qu'on voulait arreter le Torero. Mais
Carlos, qu'etait-ce que ce roi Carlos qu'on acclamait? Et on expliquait:
Carlos, c'etait le Torero lui-meme.
Oui, le Torero, l'idole des Andalous, etait le propre fils du roi
Philippe qui le poursuivait de sa haine. Allons! un effort et on aurait
enfin un roi humain, un roi qui, ayant vecu et souffert dans les rangs
du peuple, saurait comprendre ses besoins, connaitrait ses miseres et
saurait y compatir; mieux, y remedier.
Tout ceci, que nous expliquons si lentement, la foule l'apprenait en un
moment inappreciable. Et, rendons-leur cette justice, la plupart de
ces hommes du peuple n'entendaient et ne comprenaient qu'une chose: on
voulait arreter le Torero, leur dieu!
Qu'il fut fils de roi, qu'on voulut faire de lui un autre roi, peu leur
importait. Pour eux, c'etait le Torero.
Ah! on voulait l'arreter! Eh bien, par le sang du Christ! on allait voir
si les Andalous etaient gens a se laisser enlever benevolement leur
idole!
Les previsions du duc de Castrana se realisaient. Tous ces hommes,
bourgeois, hommes du peuple, caballeros, venus en amateurs, ignorants
de ce qui se tramait, devinrent litteralement furieux, se changerent en
combattants prets a repandre leur sang pour la defense du Torero.
Comme par enchantement--apportees par qui? distribuees par qui? est-ce
qu'on savait! est-ce qu'on s'en occupait!--des armes circulerent, et
ceux qui n'avaient rien, sans savoir comment cela s'etait fait, se
virent dans la main qui un couteau, qui un poignard, qui une dague, qui
un pistolet charge.
Et, au meme instant, tel un cyclone foudroyant, la ruee en masse sur les
barrieres brisees, arrachees, eparpillees, la prise de contact immediate
avec les troupes impassibles.
Un vieil officier, commandant une partie des troupes royales, eut un
eclair de pitie devant la lutte inegale qui s'appretait.
--Que personne ne bouge, cria-t-il d'une voix tonnante, ou je fais feu!
Une voix resolue, devant l'inappreciable instant d'hesitation de la
foule, cria, en reponse:
"Faites! Et apres vous n'aurez pas le temps de recharger vos arquebuses!
Une autre voix entrainante hurla:
"En avant!"
Et ils allerent de l'avant.
Et le vieil officier mit a execution sa menace.
Une decharge effroyable, qui fit trembler les vitres d
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