Bordeaux un court sejour
chez de vieux amis de mon pere; mais ils habitaient loin du centre,
pres de Cauderan, une maison isolee, ce que les Bordelais nomment une
echoppe. La ville m'etait peu familiere. L'idee d'aller si loin ne
m'etait pas venue d'abord; seul sur le pave de la Bastide, dans la
demi-obscurite de l'aube luttant avec la lueur palissante des papillons
de gaz, devant la vaste etendue brumeuse qui marquait le lit du fleuve
gascon, j'eus une sorte de defaillance morale; il me parut impossible de
reprendre ma route sans un relais, je me laissai seduire a la pensee de
me reposer en face de visages amis. Mais pres d'une lieue me separait de
Cauderan, une lieue de quais, de places, de rues. Comment se retrouver
dans un pareil dedale?
Heureusement, au fond de mon gousset, dormait un ecu de cinq francs,
superstitieusement garde comme un en-cas supreme. Le moment etait
venu de faire donner la reserve. Devant moi se trouvait un debit ou
mangeaient et buvaient quelques debardeurs du port; j'y entrai. Tandis
que je prenais une tasse de cafe, un homme voulut bien m'aller chercher
une voiture. Une heure durant, elle me cahota; du moins, mon bras
repercutait les moindres secousses. Elle me deposa tout la-bas, au
moment meme ou nos bons amis ouvraient leurs volets.
Il serait difficile de peindre leur penible surprise, en me
reconnaissant dans le militaire, pale et faible, qui ne pouvait parvenir
a ouvrir la voiture. Ils accoururent, firent ceder la portiere, me
soutinrent jusque dans la maison. Le premier moment de stupeur passe,
les braves gens preparerent pour moi, afin de m'avoir plus pres d'eux,
un lit ou personne ne s'etait repose depuis qu'ils y avaient vu mourir
leur unique enfant. Ensuite ils appelerent mon pere par le telegraphe.
III
A partir de cet instant, la sollicitude la plus eclairee, les soins les
plus habiles ne cesserent de m'etre prodigues. Mon pere, arrive par
le premier express, put amener pres de moi le docteur Fusier, medecin
principal des armees, que les fievreux du Mexique et plusieurs
generations de polytechniciens ne peuvent avoir oublie. D'un leger coup
de bistouri, il me fit une incision par ou treize esquilles, nombre
fatidique, devaient etre extraites successivement, et il autorisa
mon transport a Toulouse en coupe-lit. Le lendemain, a cheval des la
premiere heure, lui-meme vint presider a mon embarquement.
Pour le voyage, comme mes habits de guerre necessitaient une
desinfect
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