sur les autres des privations que je peux
supporter? J'aime la peinture, je suis force de l'abandonner, tant pis
pour moi. Si vous faites un sacrifice pour que je continue a peindre,
vous vous trouverez peut-etre empeche le lendemain d'en faire un pour un
homme plus malheureux que moi; car enfin, pourvu qu'on vive honnetement,
qu'importe qu'on soit artiste ou manoeuvre? Il ne faut pas etre delicat
pour soi-meme. Il y a tant de grands artistes qui se plaignent, a ce
qu'on dit: il faut bien qu'il y ait de pauvres savetiers qui ne disent
rien."
Tout ce que je pus lui dire fut inutile; il demeura inebranlable. Il lui
fallait gagner mille francs par an et entrer en fonctions, fut-ce en
service comme laquais, le plus tot possible. Il ne s'agissait plus pour
lui que de trouver sa nouvelle condition.
"Mais si je me chargeais, lui dis-je, de vous donner plus d'ouvrage a
domicile que vous n'en avez, soit en vous faisant copier encore des
manuscrits, soit en vous donnant des dessins a faire, persisteriez-vous
a quitter la peinture?
--Si cela se pouvait! dit-il ebranle un instant; mais, ajouta-t-il, cela
vous donnera de la peine et cela ne sera jamais fixe.
--Laissez-moi toujours essayer, repris-je. Il me serra encore la main et
partit, emportant sa resolution et son secret."
V.
Horace me frequentait de plus en plus. Il me temoignait une sympathie a
laquelle j'etais sensible, quoique Eugenie ne la partageat point. Il
lui arriva plusieurs fois de rencontrer chez moi le petit Masaccio, et
malgre le bien que je lui disais de ce jeune homme, loin de partager
la bonne opinion que j'en avais, il eprouvait pour lui une antipathie
insurmontable. Cependant il le traitait avec plus d'egards depuis qu'il
l'avait vu essayer le portrait d'Eugenie, et que l'esquisse etait si
bien venue, avec une ressemblance si noble et un dessin si large,
qu'Horace, engoue de toute superiorite intellectuelle, ne pouvait
s'empecher de lui montrer une sorte de deference. Mais il n'en etait
que plus indigne de cette inexplicable absence d'ambition noble qui
contrastait avec l'exuberance de la sienne propre. Il s'emportait en
vehementes declamations a cet egard, et Paul Arsene, l'ecoutant avec un
sourire contenu au bord des levres, se contentait, pour toute reponse,
de dire en se tournant vers moi:--Monsieur, votre ami parle bien!
Du reste, Paul ne manifestait ni bonne ni mauvaise disposition a son
egard. Il etait de ces gens qui marchent si dro
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