n heureux
si cela pouvait durer toujours. Mais cela ne se peut plus; il faut que
ma position change, et qu'au lieu de marcher patiemment dans la plus
belle carriere, je me mette a courir au plus vite dans n'importe
laquelle.
Ici le Masaccio se troubla visiblement; il ne raconta plus dans
l'abondance et la naivete de ses pensees. Il chercha des pretextes, et
il n'en trouva aucun de plausible pour motiver l'irresolution ou il
etait tombe. Il me montra une lettre de sa soeur Louison, qui contenait
de fraiches nouvelles de la tante Henriette. Cette bonne vieille
parente etait devenue tout a fait infirme, et ne servait plus que de
porte-respect a ses deux nieces, qui travaillaient a la journee pour la
faire vivre. Les medecins la condamnaient, et on ne pouvait esperer de
la conserver au dela de trois ou quatre mois.
"Quand nous l'aurons perdue, disait Paul Arsene, que deviendront mes
soeurs? Resteront-elles seules dans une petite ville ou elles n'ont point
d'autres parents que la tante Henriette, exposees a tous les dangers
qui entourent deux jolies filles abandonnees? D'ailleurs mon pere ne le
souffrirait pas; et il ne serait pas de son devoir de le souffrir; et
alors leur sort serait pire; car non-seulement elles seraient exposees
aux mauvais traitements de la belle-mere, mais encore elles auraient
sous les yeux les mauvais exemples de cette femme, qui n'est pas
seulement mechante. Le seul parti que j'aie a prendre est donc ou
d'aller rejoindre mes soeurs en province et de m'y etablir comme ouvrier,
pour ne les plus quitter, ou de les faire venir ici, et de les y
soutenir jusqu'a ce qu'elles puissent, par leur travail, se soutenir
elles-memes.
--Tout cela est fort juste et fort bien pense, lui dis-je; mais si vos
soeurs sont fortes et laborieuses comme vous le dites, elles ne seront
pas longtemps a votre charge. Je ne vois donc pas que vous soyez
force de vous creer un etat qui donne des appointements fixes aussi
considerables que vous le disiez l'autre jour. Il ne s'agit que de
trouver l'argent necessaire pour faire venir Louison et Suzanne, et pour
les aider un peu dans les commencements. Eh bien, vous avez des amis qui
pourront vous avancer cette somme sans se gener, et moi-meme...
--Merci, Monsieur, dit Arsene... Mais je ne veux pas... On sait quand on
emprunte, on ne sait pas quand on rendra. Je dois deja trop aux bontes
d'autrui, et les temps sont durs pour tout le monde, je le sais;
pourquoi ferais-je peser
|