bien loin en effet; ils avaient couru tous les trois
rejoindre leur mere, qui revenait avec Blaise; ils lui raconterent
que le comte etait si mechant et si furieux qu'il avait voulu manger
Alcine.
"Il l'aurait mange, maman, si Robert et moi nous n'etions arrives avec
une fourche et un rateau...
--Une fourche, un rateau! contre M. le comte! s'ecria la mere
effrayee. Jesus! mon Dieu! qu'est-ce qui va advenir de nous?
ROBERT
Il le tenait deja par terre, maman; il ouvrait une bouche enorme, et
il avait de grandes dents blanches comme celles d'un loup!
FRANCOIS
Et des yeux qui semblaient bruler ce qu'ils regardaient!
ALCINE
Et des grandes mains enormes qui me serraient d'une force!...
LA FERMIERE
Jesus! misericorde! Malheureux enfants! Qu'avez-vous fait? Prendre
M. le comte pour un loup. Mais est-ce croyable, cette sottise-la?...
Jamais il ne nous le pardonnera. Seigneur Dieu! que va-t-il me dire?
Ma foi, mon Blaise, vas-y tout seul, toi. Je n'oserais jamais, apres
ce qui s'est passe.
ROBERT
Vous voyez bien, maman, que, vous aussi, vous avez peur.
LA FERMIERE
Mais c'est par rapport a vos fourches, petits nigauds. Je n'aurais pas
eu peur sans cela.
FRANCOIS
Et pourquoi donc, en vous en allant, nous avez-vous dit de ne pas y
aller? C'est que vous aviez peur qu'il ne nous fit du mal.
LA FERMIERE
Helas! mon Dieu, que faire? Va vite, Blaisot, puisqu'il t'a demande;
va le trouver dans la salle et raconte-nous ce qu'il t'aura dit; tu
nous retrouveras dans la grange."
Blaise aurait bien voulu ne pas y aller, ou du moins ne pas y aller
seul, mais il n'osa pas desobeir aux ordres du comte et de la fermiere
et il se dirigea vers la ferme sans trop hater le pas... Il arriva
jusqu'a la salle et tressaillit d'aise: le comte n'y etait plus.
"Il est parti, il est parti! cria Blaise a la fermiere et aux enfants;
vous pouvez venir, il n'y a plus de danger."
A peine avait-il acheve ces paroles qu'il apercut a dix pas de lui le
comte sortant d'une bergerie. Il avait reconnu la voix de Blaise et
s'empressait de lui parler pour l'emmener, lorsqu'il entendit le
joyeux appel a la famille du fermier.
"Ah ca! dit-il en froncant le sourcil, pour qui me prend-on ici? Un
des marmots que j'empeche de tomber du haut de la fenetre croit que je
vais le manger; deux autres m'attaquent avec une fourche et un rateau
comme si j'etais une bete feroce. Et voila que toi, Blaise, tu
appelles, me croyant parti, e
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