ois que je vais m'abimer les mains a couper des batons
d'osier, me salir les doigts a coller des papiers, me fatiguer et
m'ennuyer a arranger tout cela? C'est pour que tu le fasses que je
t'ai fait venir; je m'amuserai a te regarder faire."
Blaise ne fut pas content du ton meprisant de Jules et il eut un
instant la pensee de le laisser la et de s'en aller.
"Mais non, se dit-il, ce serait de l'orgueil; je suis le serviteur,
c'est certain; je dois faire les volontes des maitres et souffrir les
humiliations. Tant pis pour M. Jules s'il est egoiste et dur; tant
mieux pour moi si je le sers avec soumission et patience."
Tout en faisant ces reflexions, il deployait les feuilles de papier,
et preparait l'osier pour l'attacher en forme de coeur. Il passa une
grande heure a faire ses preparatifs, a coller les feuilles et a les
fixer sur les baguettes d'osier. Quand il eut fini de tout coller,
qu'il n'y eut plus qu'a faire la queue et a peindre le cerf-volant,
Blaise dit a Jules:
"Voudriez-vous, Monsieur Jules, vous amuser a peindre des figures sur
le papier blanc du cerf-volant? je ferai la queue pendant ce temps; je
ne saurais pas peindre."
Jules ne repondit pas; Blaise, levant les yeux sur lui, vit qu'il
s'etait endormi.
"Je vais peindre comme je pourrai, dit-il. Ce ne sera pas bien, mais
j'aurai fait de mon mieux."
Et Blaise se mit a l'ouvrage, cherchant a figurer des hommes et des
animaux sur le cerf-volant. Il n'avait aucune idee de peinture ni de
dessin, c'etait donc fort laid; ses hommes avaient l'air de poteaux
de grande route, montrant le chemin aux passants; ses lapins avaient
l'air de moutons; ses vaches ressemblaient a des chats, ses oiseaux
pouvaient etre pris pour des papillons, ses arbres pour des toits de
maisons, ses montagnes pour des niches a chiens, etc. Mais Blaise,
dans sa joie de manier des couleurs, trouvait ses peintures superbes
et attendait avec impatience le reveil de Jules pour les lui faire
admirer. Enfin Jules se reveilla, etendit les bras en baillant et
appela Blaise.
BLAISE
Me voici, Monsieur Jules; j'ai fini le cerf-volant; il est tout a fait
beau et joli. Tenez, Monsieur Jules, voyez comme il est couvert de
belles peintures.
JULES
Qu'est-ce que ces horreurs-la? Qui a peint ces affreuses figures?
--C'est moi, Monsieur Jules; j'ai fait de mon mieux, il me semblait
que c'etait bien et joli.
--Je te dis que c'est affreux; je n'en veux pas. Donne-moi ce
cerf-volant."
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