vrant les bras
pour recevoir Blaise, qui s'y jeta avec transport et qui embrassa le
comte a plusieurs reprises.
Jules avait regarde et ecoute avec attendrissement, il voulut a son
tour embrasser Blaise comme un frere, un ami.
"Papa, dit-il, comment faire pour que Blaise ne nous quitte jamais?
--C'est de le garder avec nous, d'en faire mon second fils, ton
camarade d'etudes et de jeux.
--C'est impossible, cela, dit Blaise avec resolution, impossible. J'ai
un pere moi aussi, et une mere; je suis leur seul enfant; je dois
rester pres d'eux, et je serais malheureux loin d'eux, comme ils le
seraient loin de moi. Je serais separe d'eux non seulement de fait,
mais d'habitudes, d'education, de vetements et de manieres. Je ne
serais plus comme leur fils. Non, Monsieur le comte, je vous aime,
je vous respecte, je voudrais passer ma vie a vous servir et a vous
temoigner mon affection et mon respect: mais quitter mes parents, vous
suivre a Paris, jamais!"
Le comte considerait avec emotion la belle figure de Blaise animee par
les sentiments qu'il exprimait avec energie et noblesse.
"Cet enfant est au-dessus de son age, pensa-t-il; mais il a raison,
toujours raison; et ce qui me surprend, c'est que je ne m'en sente pas
humilie.
"Blaise a raison, mon Jules, dit-il enfin, ce qu'il dit est juste et
sage. Il faudra trouver autre chose; et nous ne ferons rien sans te
consulter, Blaise. C'est toi qui nous guideras, comme tu as fait tout
a l'heure pour tes habits."
Le comte avait fini son dejeuner; il sonna et fit emporter le plateau.
Le domestique vit avec surprise que Blaise n'avait pas mange.
"Voyez donc, mes amis, dit-il en rentrant a l'office: une nouvelle
merveille! M. Blaise a refuse l'invitation de M. le comte, il n'a pas
dejeune; voici son couvert, et le verre, et le pain qui n'ont pas ete
touches.
--Qu'est-ce qu'il y a donc? Ce garcon de concierge, ce mangeur de
pain et de fromage, refuse de la volaille, du vin, des gateaux! On ne
pourra donc pas le prendre par la bouche. Je me souviens bien qu'il
m'a refuse il y a quelque temps un verre de bon vin de Frontignan et
des biscuits. Il n'avait jamais rien pris d'aussi bon, bien sur. Et a
propos de ce vin, comment s'en est-il tire avec M. le comte? nous ne
l'avons jamais su.
--Mais c'est a partir de ce jour qu'il a ete si bien avec M. le
comte, qu'on lui a permis d'aider a soigner M. Jules, et qu'il s'est
introduit dans le chateau pour n'en plus sortir.
--A
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