se tournant vers le comte:
"Papa, me permettez-vous d'embrasser ce bon Blaise, qui a ete la cause
premiere de tout ce bien?
--Certainement, ma fille, ma chere Helene; embrasse-le; il doit etre
pour toi un second frere."
Blaise se laissa timidement embrasser par Helene, dont il baisa la
main avec tendresse.
La comtesse s'etait levee avec colere, et, s'approchant d'Helene, elle
la retira violemment en disant:
"Vous oubliez, Helene, que c'est un fils de portier que vous vous
permettez d'embrasser sous mes yeux. Je n'entends pas que cette scene
ridicule se prolonge plus longtemps; venez, Helene, suivez-moi, et
laissez votre pere et votre frere faire leur ami et leur confident de
ce garcon sans education."
Le comte regardait sa femme avec douleur et pitie.
"Julie, lui dit-il, malheur a l'ingrat et a l'orgueilleux!
--Malheur aux intrigants et aux sots!" repondit-elle en quittant la
chambre et entrainant Helene.
Le comte retomba sur un fauteuil, le visage cache dans ses mains. La
durete orgueilleuse de sa femme le navrait. Il lui avait toujours
reproche de la secheresse et du manque de coeur; mais, sec et egoiste
lui-meme, il n'en avait jamais souffert comme en ce jour ou tout etait
change en lui.
Il prevoyait les luttes de tous les jours, les scenes; les reproches
qui devaient a l'avenir empoisonner sa vie. Le bonheur si nouveau et
si pur qu'il avait goute entre Jules et Blaise depuis environ un mois
etait passe pour ne plus revenir; son fils et lui-meme seraient prives
de la societe de Blaise, dont la piete leur etait si utile, dont la
gaiete, l'affection, la complaisance leur etaient si agreables.
La comtesse serait sans cesse entre eux et Blaise, ce pauvre Blaise
destine a rencontrer toujours des ingrats dans la famille du comte.
Il reflechissait avec une peine profonde a cette situation inattendue,
quand il se sentit serrer dans les bras de Jules en meme temps que ses
mains etaient effleurees par les levres de Blaise; les pauvres enfants
pleuraient, car ils prevoyaient une separation; Blaise sentait qu'il
redeviendrait _pauvre Blaise_.
JULES
Papa, mon cher papa, que faire maintenant? Comment et ou pourrai-je
passer mes apres-midi avec Blaise et avec vous?
LE COMTE
Cher enfant, il faudra ceder quelque chose a ta mere jusqu'a ce
qu'elle ajoute foi a ce que nous croyons si bien, nous qui en avons
profite; je veux dire aux excellentes qualites, aux vertus de Blaise
et a la reconnaissance
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