Ce n'est rien, papa; c'est un reste qui va s'en aller quand j'aurai
fait une petite visite au bon Dieu dans son eglise."
Blaise raconta a son pere la cause de son nouveau chagrin, en
attenuant avec sa bonte accoutumee les paroles dures et injurieuses
de la comtesse. Anfry contenait avec peine sa colere; il connaissait
assez la comtesse pour deviner ce que la charite de Blaise lui
cachait. Quand le recit fut fini, il serra Blaise dans ses bras a
plusieurs reprises, mais sans dire une parole, et le laissa aller
chercher pres du bon Dieu sa consolation accoutumee contre les
chagrins qu'il supportait avec une fermete au-dessus de son age.
XVIII
LA COMTESSE DE TRENILLY
La comtesse etait restee debout au milieu de sa chambre, surprise et
troublee des paroles de Blaise, de l'accent digne et ferme qui l'avait
dominee malgre elle, et de l'explosion de chagrin qui avait termine
ses paroles.
"Ce refus est singulier, se dit-elle; je lui offre tout un avenir...
et il ne l'accepte pas... Il a meme rejete mes propositions avec une
certaine indignation... C'est dommage que tout cela vienne d'un fils
de portier... Ce serait beau et noble dans une classe plus elevee...
Je commence pourtant a comprendre l'empire qu'il exerce sur mon mari
et sur mes enfants... En verite, j'ai moi-meme ete presque convaincue,
presque attendrie... Me serais-je trompee? serait-il vraiment le beau
et noble coeur que me dit mon mari?... Mais non! impossible! Un fils
de portier... C'est absurde!..."
La comtesse resta longtemps pensive et indecise, elle se resolut enfin
a laisser aller les choses, a observer Blaise et ses enfants, et a
agir en consequence.
"Si ce garcon ment a la promesse qu'il m'a faite, s'il cherche a
voir mes enfants a mon insu, je n'aurai aucune pitie pour lui: je le
chasserai avec ses parents... Mais s'il est fidele a sa parole, s'il
accepte avec loyaute et resignation le chagrin que je lui impose,
dit-elle, alors..., alors je verrai ce que j'aurai a faire."
Et la comtesse, secouant la tete, chercha a ne plus penser a Blaise.
Elle prit un livre et se mit a lire, sans pouvoir toutefois chasser de
son esprit l'image de Blaise indigne, mais calme, puis sanglotant et
desole.
Au retour de la promenade, les enfants avaient couru chez le comte,
dont ils recherchaient la compagnie autant qu'ils l'evitaient jadis.
Ils le trouverent triste et pensif; tous deux se jeterent a son cou en
lui demandant la cause de sa tristesse.
|