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ere a la facon d'un coupable qui se constitue prisonnier; et il gagnait son bureau vivement, le coeur plein d'inquietude, dans l'attente eternelle d'une reprimande pour quelque negligence qu'il aurait pu commettre. Rien n'etait jamais venu modifier l'ordre monotone de son existence; car aucun evenement ne le touchait en dehors des affaires du bureau, des avancements et des gratifications. Soit qu'il fut au ministere, soit qu'il fut dans sa famille (car il avait epouse, sans dot, la fille d'un collegue), il ne parlait jamais que du service. Jamais son esprit atrophie par la besogne abetissante et quotidienne n'avait plus d'autres pensees, d'autres espoirs, d'autres reves, que ceux relatifs a son ministere. Mais une amertume gatait toujours ses satisfactions d'employe: l'acces des commissaires de marine, des ferblantiers, comme on disait a cause de leurs galons d'argent, aux emplois de sous-chef et de chef; et chaque soir, en dinant, il argumentait fortement devant sa femme, qui partageait ses haines, pour prouver qu'il est inique a tous egards de donner des places a Paris aux gens destines a la navigation. Il etait vieux, maintenant, n'ayant point senti passer sa vie, car le college, sans transition, avait ete continue par le bureau, et les pions, devant qui il tremblait autrefois, etaient aujourd'hui remplaces par les chefs, qu'il redoutait effroyablement. Le seuil de ces despotes en chambre le faisait fremir des pieds a la tete; et de cette continuelle epouvante il gardait une maniere gauche de se presenter, une attitude humble et une sorte de begaiement nerveux. Il ne connaissait pas plus Paris que ne le peut connaitre un aveugle conduit par son chien, chaque jour, sous la meme porte; et s'il lisait dans son journal d'un sou les evenements et les scandales, il les percevait comme des contes fantaisistes inventes a plaisir pour distraire les petits employes. Homme d'ordre, reactionnaire sans parti determine, mais ennemi des "_nouveautes_", il passait les faits politiques, que sa feuille, du reste, defigurait toujours pour les besoins payes d'une cause; et quand il remontait tous les soirs l'avenue des Champs-Elysees, il considerait la foule houleuse des promeneurs et le flot roulant des equipages a la facon d'un voyageur depayse qui traverserait des contrees lointaines. Ayant complete, cette annee meme, ses trente annees de service obligatoire, on lui avait remis, au 1er janvier, la croix de la Legion d'honneur
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