oeur de ces bourgeois prives d'herbe et affames de
promenades aux champs cet amour bete de la nature qui les hante toute
l'annee derriere le comptoir de leur boutique.
La jeune fille, emue, leva les yeux et regarda le canotier. M. Dufour
parla pour la premiere fois.--"Ca, c'est une vie," dit-il. Il
ajouta:--"Encore un peu de lapin, ma bonne.--Non, merci, mon ami."
Elle se tourna de nouveau vers les jeunes gens, et, montrant leurs
bras:--"Vous n'avez jamais froid comme ca?" dit-elle.
Ils se mirent a rire tous les deux, et ils epouvanterent la famille par
le recit de leurs fatigues prodigieuses, de leurs bains pris en sueur,
de leurs courses dans le brouillard des nuits; et ils taperent
violemment sur leur poitrine pour montrer quel son ca rendait."Oh! vous
avez l'air solides," dit le mari qui ne parlait plus du temps ou il
rossait les Anglais.
La jeune fille les examinait de cote maintenant; et le garcon aux
cheveux jaunes, ayant bu de travers, toussa eperdument, arrosant la robe
en soie cerise de la patronne qui se facha et fit apporter de l'eau pour
laver les taches.
Cependant, la temperature devenait terrible. Le fleuve etincelant
semblait un foyer de chaleur, et les fumees du vin troublaient les
tetes.
M. Dufour, que secouait un hoquet violent, avait deboutonne son gilet et
le haut de son pantalon; tandis que sa femme, prise de suffocations,
degrafait sa robe peu a peu. L'apprenti balancait d'un air gai sa
tignasse de lin et se versait a boire coup sur coup. La grand'mere, se
sentant grise, se tenait fort raide et fort digne. Quant a la jeune
fille, elle ne laissait rien paraitre; son oeil seul s'allumait
vaguement, et sa peau tres brune se colorait aux joues d'une teinte plus
rose.
Le cafe les acheva. On parla de chanter et chacun dit son couplet, que
les autres applaudirent avec frenesie. Puis on se leva difficilement,
et, pendant que les deux femmes, etourdies, respiraient, les deux
hommes, tout a fait pochards, faisaient de la gymnastique. Lourds,
flasques, et la figure ecarlate, ils se pendaient gauchement aux anneaux
sans parvenir a s'enlever; et leurs chemises menacaient continuellement
d'evacuer leurs pantalons pour battre au vent comme des etendards.
Cependant les canotiers avaient mis leurs yoles a l'eau et ils
revenaient avec politesse proposer aux dames une promenade sur la
riviere.
--Monsieur Dufour, veux-tu? je t'en prie!--cria sa femme. Il la regarda
d'un air d'ivrogne, sans compre
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