oigts les saintes
marques du travail.
"Puis nous nous sommes regardes dans les yeux longuement.
"Oh! cet oeil de la femme, quelle puissance il a! Comme il trouble,
envahit, possede, domine! Comme il semble profond, plein de promesses,
d'infini! On appelle cela se regarder dans l'ame! Oh! monsieur, quelle
blague! Si l'on y voyait, dans l'ame, on serait plus sage, allez.
"Enfin, j'etais emballe, fou. Je voulus la prendre dans mes bras. Elle
me dit:--"A bas les pattes!"
"Alors je m'agenouillai pres d'elle et j'ouvris mon coeur; je versai sur
ses genoux toutes les tendresses qui m'etouffaient. Elle parut etonnee
de mon changement d'allure, et me considera d'un regard oblique comme si
elle se fut dit:--Ah! c'est comme ca qu'on joue de toi, mon bon; eh
bien! nous allons voir.
"En amour, monsieur, nous sommes toujours des naifs, et les femmes des
commercantes.
"J'aurais pu la posseder, sans doute; j'ai compris plus tard ma sottise,
mais ce que je cherchais, moi, ce n'etait pas un corps; c'etait de la
tendresse, de l'ideal. J'ai fait du sentiment quand j'aurais du mieux
employer mon temps.
"Des qu'elle en eut assez de mes declarations, elle se leva; et nous
revinmes a Saint-Cloud. Je ne la quittai qu'a Paris. Elle avait l'air si
triste depuis notre retour que je l'interrogeai. Elle repondit:--"Je
pense que voila des journees comme on n'en a pas beaucoup dans sa
vie."--Mon coeur battait a me defoncer la poitrine.
"Je la revis le dimanche suivant, et encore le dimanche d'apres, et tous
les autres dimanches. Je l'emmenai a Bougival, Saint-Germain,
Maisons-Laffitte, Poissy; partout ou se deroulent les amours de
banlieue.
"La petite coquine, a son tour, me "la faisait a la passion".
"Je perdis enfin tout a fait la tete, et, trois mois apres, je
l'epousai.
"Que voulez-vous, monsieur, on est employe, seul, sans famille, sans
conseils! On se dit que la vie serait douce avec une femme! Et on
l'epouse, cette femme!
"Alors, elle vous injurie du matin au soir, ne comprend rien, ne sait
rien, jacasse sans fin, chante a tue-tete la chanson de Musette (oh! la
chanson de Musette, quelle scie!), se bat avec le charbonnier, raconte a
la concierge les intimites de son menage, confie a la bonne du voisin
tous les secrets de l'alcove, debine son mari chez les fournisseurs, et
a la tete farcie d'histoires si stupides, de croyances si idiotes,
d'opinions si grotesques, de prejuges si prodigieux, que je pleure de
decourage
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