les ont
un capiteux, un charme, un je ne sais quoi tout particulier. C'est
absolument comme du vin qu'on boit apres le fromage.
"Je la regardais, et elle aussi elle me regardait,--mais seulement de
temps en temps, comme la votre tout a l'heure. Enfin, a force de nous
considerer, il me sembla que nous nous connaissions assez pour entamer
conversation, et je lui parlai. Elle repondit. Elle etait gentille comme
tout, decidement. Elle me grisait, mon cher monsieur!
"A Saint-Cloud, elle descendit,--je la suivis.--Elle allait livrer une
commande. Quand elle reparut, le bateau venait de partir. Je me mis a
marcher a cote d'elle, et la douceur de l'air nous arrachait des soupirs
a tous les deux.
--"Il ferait bien bon dans les bois," lui dis-je.
"Elle repondit:--"Oh! oui!"
--"Si nous allions y faire un tour, voulez-vous, mademoiselle?"
"Elle me guetta en dessous d'un coup d'oeil rapide comme pour bien
apprecier ce que je valais, puis, apres avoir hesite quelque temps, elle
accepta. Et nous voila cote a cote au milieu des arbres. Sous le
feuillage un peu grele encore, l'herbe, haute, drue, d'un vert luisant,
comme vernie, etait inondee de soleil et pleine de petites betes qui
s'aimaient aussi. On entendait partout des chants d'oiseaux. Alors ma
compagne se mit a courir en gambadant, enivree d'air et d'effluves
champetres. Et moi je courais derriere en sautant comme elle. Est-on
bete, monsieur, par moments!
"Puis elle chanta eperdument mille choses, des airs d'opera, la chanson
de Musette! La chanson de Musette! comme elle me sembla poetique
alors!... Je pleurais presque. Oh! ce sont toutes ces balivernes-la qui
nous troublent la tete; ne prenez jamais, croyez-moi, une femme qui
chante a la campagne, surtout si elle chante la chanson de Musette!
"Elle fut bientot fatiguee et s'assit sur un talus vert. Moi, je me mis
a ses pieds, et je lui saisis les mains; ses petites mains poivrees de
coups d'aiguille, et cela m'attendrit. Je me disais:--"Voici les saintes
marques "du travail."--Oh! monsieur, monsieur, savez-vous ce qu'elles
signifient, les saintes marques du travail? Elles veulent dire tous les
commerages de l'atelier, les polissonneries chuchotees, l'esprit souille
par toutes les ordures racontees, la chastete perdue, toute la sottise
des bavardages, toute la misere des habitudes quotidiennes, toute
l'etroitesse des idees propres aux femmes du commun, installees
souverainement dans celle qui porte au bout des d
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