ndre. Alors un canotier s'approcha, deux
lignes de pecheur a la main. L'esperance de prendre du goujon, cet ideal
des boutiquiers, alluma les yeux mornes du bonhomme, qui permit tout ce
qu'on voulut, et s'installa a l'ombre, sous le pont, les pieds ballants
au-dessus du fleuve, a cote du jeune homme aux cheveux jaunes qui
s'endormit aupres de lui.
Un des canotiers se devoua: il prit la mere.--"Au petit bois de l'ile
aux Anglais!" cria-t-il en s'eloignant.
L'autre yole s'en alla plus doucement. Le rameur regardait tellement sa
compagne qu'il ne pensait plus a autre chose, et une emotion l'avait
saisi qui paralysait sa vigueur. La jeune fille, assise dans le fauteuil
du barreur, se laissait aller a la douceur d'etre, sur l'eau. Elle se
sentait prise d'un renoncement de pensee, d'une quietude de ses membres,
d'un abandonnement d'elle-meme, comme envahie par une ivresse multiple.
Elle etait devenue fort rouge, avec une respiration courte. Les
etourdissements du vin, developpes par la chaleur torrentielle qui
ruisselait autour d'elle, faisaient saluer sur son passage tous les
arbres de la berge. Un besoin vague de jouissance, une fermentation du
sang parcouraient sa chair excitee par les ardeurs de ce jour; et elle
etait aussi troublee dans ce tete-a-tete sur l'eau, au milieu de ce
pays depeuple par l'incendie du ciel, avec ce jeune homme qui la
trouvait belle, dont l'oeil lui baisait la peau, et dont le desir etait
penetrant comme le soleil.
Leur impuissance a parler augmentait leur emotion, et ils regardaient
les environs. Alors, faisant un effort, il lui demanda son
nom.--"Henriette," dit-elle.--Tiens! moi je m'appelle Henri," reprit-il.
Le son de leur voix les avait calmes; ils s'interesserent a la rive.
L'autre yole s'etait arretee et paraissait les attendre. Celui qui la
montait cria:--"Nous vous rejoindrons dans le bois; nous allons jusqu'a
Robinson, parce que Madame a soif."--Puis il se coucha sur les avirons
et s'eloigna si rapidement qu'on cessa bientot de le voir.
Cependant un grondement continu qu'on distinguait vaguement depuis
quelque temps s'approchait tres vite. La riviere elle-meme semblait
fremir comme si le bruit sourd montait de ses profondeurs.
--Qu'est-ce qu'on entend? demanda-t-elle. C'etait la chute du barrage
qui coupait le fleuve en deux a la pointe de l'ile. Lui se perdait dans
une explication, lorsque, a travers le fracas de la cascade, un chant
d'oiseau qui semblait tres lointain les
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