es naifs
s'y egarent.
C'est, avec raison, nomme la _Grenouillere_. A cote du radeau couvert ou
l'on boit, et tout pres du "Pot-a-Fleurs", on se baigne. Celles des
femmes dont les rondeurs sont suffisantes viennent la montrer a nu leur
etalage et faire le client. Les autres, dedaigneuses, bien qu'amplifiees
par le coton, etayees de ressorts, redressees par-ci, modifiees par-la,
regardent d'un air meprisant barboter leurs soeurs.
Sur une petite plate-forme, les nageurs se pressent pour piquer leur
tete. Ils sont longs comme des echalas, ronds comme des citrouilles,
noueux comme des branches d'olivier, courbes en avant ou rejetes en
arriere par l'ampleur du ventre, et, invariablement laids, ils sautent
dans l'eau qui rejaillit jusque sur les buveurs du cafe.
Malgre les arbres immenses penches sur la maison flottante et malgre le
voisinage de l'eau, une chaleur suffocante emplissait ce lieu. Les
emanations des liqueurs repandues se melaient a l'odeur des corps et a
celle des parfums violents dont la peau des marchandes d'amour est
penetree et qui s'evaporaient dans cette fournaise. Mais sous toutes ces
senteurs diverses flottait un arome leger de poudre de riz qui parfois
disparaissait, reparaissait, qu'on retrouvait toujours, comme si quelque
main cachee eut secoue dans l'air une houppe invisible.
Le spectacle etait sur le fleuve, ou le va-et-vient incessant des
barques tirait les yeux. Les canotieres s'etalaient dans leur fauteuil
en face de leurs males aux forts poignets, et elles consideraient avec
mepris les queteuses de diners rodant par l'ile.
Quelquefois, quand une equipe lancee passait a toute vitesse, les amis
descendus a terre poussaient des cris, et tout le public, subitement
pris de folie, se mettait a hurler.
Au coude de la riviere, vers Chatou, se montraient sans cesse des
barques nouvelles. Elles approchaient, grandissaient, et, a mesure qu'on
reconnaissait les visages, d'autres vociferations partaient.
Un canot couvert d'une tente et monte par quatre femmes descendait
lentement le courant. Celle qui ramait etait petite, maigre, fanee,
vetue d'un costume de mousse avec ses cheveux releves sous un chapeau
cire. En face d'elle, une grosse blondasse habillee en homme, avec un
veston de flanelle blanche, se tenait couchee sur le dos au fond du
bateau, les jambes en l'air sur le banc des deux cotes de la rameuse, et
elle fumait une cigarette, tandis qu'a chaque effort des avirons sa
poitrine et son
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