grave, sans rire jamais avec lui, et sans le laisser
entrer chez elle. Cependant, un peu fat, comme tous les hommes, il
s'imagina qu'elle etait souvent plus rouge que de coutume lorsqu'elle
causait avec lui.
Mais une reputation tombee est si penible a refaire et demeure toujours
si fragile, que, malgre la reserve ombrageuse de la Blanchotte, on
jasait deja dans le pays.
Quant a Simon, il aimait beaucoup son nouveau papa et se promenait avec
lui presque tous les soirs, la journee finie. Il allait assidument a
l'ecole et passait au milieu de ses camarades fort digne, sans leur
repondre jamais.
Un jour, pourtant, le gars qui l'avait attaque le premier lui dit:
--Tu as menti, tu n'as pas un papa qui s'appelle Philippe.
--Pourquoi ca?--demanda Simon tres emu.
Le gars se frottait les mains. Il reprit:
--Parce que si tu en avais un, il serait le mari de ta maman.
Simon se troubla devant la justesse de ce raisonnement, neanmoins il
repondit:--"C'est mon papa tout de meme."
--Ca se peut bien, dit le gars en ricanant, mais ce n'est pas ton papa
tout a fait.
Le petit a la Blanchotte courba la tete et s'en alla reveur du cote de
la forge au pere Loizon, ou travaillait Philippe.
Cette forge etait comme ensevelie sous des arbres. Il y faisait tres
sombre; seule, la lueur rouge d'un foyer formidable eclairait par grands
reflets cinq forgerons aux bras nus qui frappaient sur leurs enclumes
avec un terrible fracas. Ils se tenaient debout, enflammes comme des
demons, les yeux fixes sur le fer ardent qu'ils torturaient; et leur
lourde pensee montait et retombait avec leurs marteaux.
Simon entra sans etre vu et alla tout doucement tirer son ami par la
manche. Celui-ci se retourna. Soudain le travail s'interrompit, et tous
les hommes regarderent, tres attentifs. Alors, au milieu de ce silence
inaccoutume, monta la petite voix frele de Simon.
--Dis donc, Philippe, le gars a la Michaude qui m'a conte tout a l'heure
que tu n'etais pas mon papa tout a fait.
--Pourquoi ca? demanda l'ouvrier.
L'enfant repondit avec toute sa naivete:
--Parce que tu n'es pas le mari de maman.
Personne ne rit. Philippe resta debout, appuyant son front sur le dos de
ses grosses mains que supportait le manche de son marteau dresse sur
l'enclume. Il revait. Ses quatre compagnons le regardaient et, tout
petit entre ces geants, Simon, anxieux, attendait. Tout a coup, un des
forgerons, repondant a la pensee de tous, dit a Philippe:
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