r s'installer, deux jeunes gens dejeunaient deja. C'etaient
les proprietaires des yoles, sans doute, car ils portaient le costume
des canotiers.
Ils etaient etendus sur des chaises, presque couches. Ils avaient la
face noircie par le soleil et la poitrine couverte seulement d'un mince
maillot de coton blanc qui laissait passer leurs bras nus, robustes
comme ceux des forgerons. C'etaient deux solides gaillards, posant
beaucoup pour la vigueur, mais qui montraient en tous leurs mouvements
cette grace elastique des membres qu'on acquiert par l'exercice, si
differente de la deformation qu'imprime a l'ouvrier l'effort penible,
toujours le meme.
Ils echangerent rapidement un sourire en voyant la mere, puis un regard
en apercevant la fille.--"Donnons notre place, dit l'un, ca nous fera
faire connaissance."--L'autre aussitot se leva et, tenant a la main sa
toque mi-partie rouge et mi-partie noire, il offrit chevaleresquement de
ceder aux dames le seul endroit du jardin ou ne tombat point le soleil.
On accepta en se confondant en excuses; et pour que ce fut plus
champetre, la famille s'installa sur l'herbe sans table ni sieges.
Les deux jeunes gens porterent leur couvert quelques pas plus loin et se
remirent a manger. Leurs bras nus, qu'ils montraient sans cesse,
genaient un peu la jeune fille. Elle affectait meme de tourner la tete
et de ne point les remarquer, tandis que Mme Dufour, plus hardie,
sollicitee par une curiosite feminine qui etait peut-etre du desir, les
regardait a tout moment, les comparant sans doute avec regret aux
laideurs secretes de son mari.
Elle s'etait eboulee sur l'herbe, les jambes pliees a la facon des
tailleurs, et elle se tremoussait continuellement, sous pretexte que des
fourmis lui etaient entrees quelque part. M. Dufour, rendu maussade par
la presence et l'amabilite des etrangers, cherchait une position commode
qu'il ne trouva pas du reste, et le jeune homme aux cheveux jaunes
mangeait silencieusement comme un ogre.
--Un bien beau temps, monsieur, dit la grosse dame a l'un des canotiers.
Elle voulait etre aimable a cause de la place qu'ils avaient
cedee.--"Oui, madame, repondit-il; venez-vous souvent a la campagne?"
--Oh! une fois ou deux par an seulement, pour prendre l'air; et vous,
monsieur?
--J'y viens coucher tous les soirs.
--Ah! ca doit etre bien agreable?
--Oui, certainement, madame.
Et il raconta sa vie de chaque jour, poetiquement, de facon a faire
vibrer dans le c
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