gueil, ami qui as ete ma force et ma joie! non, mon ame
te cherche sur les hauts sommets, dans ces champs de l'infini peuples de
demeures eclatantes.
Plus que jamais je crois a l'immortalite, a la persistance de
l'individualite humaine a travers le temps et l'espace; je crois au
libre arbitre, aux developpements successifs de la vie, aux paradis et
aux enfers que nous nous creons, suivant le bon ou le mauvais usage que
nous faisons de notre liberte.
Je crois surtout a la toute-puissance de l'amour, du devouement, de la
bonte, de l'indulgence, de toutes ces grandes vertus dont tu possedais
et dont j'admirais le germe en toi, mon Prosper!
Je crois aujourd'hui tout ce que nous croyions ensemble avec les
lumieres de notre conscience et sans le secours d'aucun pretre
catholique ou protestant. Nous etions et nous sommes toujours de ceux
qui n'appartiennent a aucune des eglises existantes, et qui cependant se
sentent religieusement unis a Dieu et a tout ce qui est vrai, juste, bon
et beau.
Tu le vois, cher bien-aime, je t'ecris comme je t'ecrivais quand nous
etions momentanement separes pendant ton existence sur cette planete; je
t'ouvre mon coeur, je te rassure sur notre compte comme si tu en avais
besoin, en te disant que si ton depart a brise nos ames dans la douleur,
il ne les a du moins pas dessechees et que notre foi reste entiere comme
elle l'etait quand tu etais pres de nous.
Et maintenant, mon Prosper cheri, approuveras-tu ce que nous avons fait?
Tu as mis autant de soin, mon doux poete, a cacher ton nom et tes vers
que d'autres en incitent a se produire avec fracas. Mais a present,
quand tu vis loin de ce globe, nous pardonneras-tu de reunir en un
volume ces chants de ta jeunesse? Non que nous ayons la pensee de les
livrer au public et aux indifferents! Mais, est-ce faiblesse, piete ou
amour-propre paternel, nous voulons offrir a chacun de nos amis, en
souvenir de toi, ce volume discret qui ne franchira pas les bornes de
l'intimite et de l'affection. La plupart de ceux qui t'ont connu,--et
tous ceux qui t'ont connu t'ont aime,--ne soupconnent meme pas l'oeuvre
que tu as laissee, si incomplete qu'elle soit. Je laisse de cote, bien
entendu, et je garde pour nous seuls les lettres, les esquisses, les
plans, les articles que tu as publies sous divers pseudonymes. J'ai fait
parmi tes poemes, avec le concours de ta mere et de ton frere, un choix
presque rigoureux. Je n'ai voulu mettre sous les yeux de nos amis qu
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