A MA MERE
Ou sont-ils, mes chagrins d'enfant,
Grandes peines vite oubliees,
Aux larmes si vite essuyees
Que je riais en meme temps?
Comme elles sont loin, les soirees
Que nous passions en attendant
Mon pere! O mes heures dorees!
Tu disais: "Quand tu seras grand!..."
J'ai grandi. Le temps d'un coup d'aile
Jette au vent bien des reves d'or:
J'ai souffert et je souffre encor.
Mais j'ai dans mon ame immortelle
Senti que Dieu me laisse encor
Ma mere, et que j'ai tout en elle.
Paris, Fevrier 1861.
A MA MERE
Un an passe, mere, qu'un beau matin,
Enfant par l'age et vieux par la tristesse,
Malade, use, las de vivre sans cesse
Et de trouver l'ennui sur mon chemin,
En souriant a mon nouveau destin,
Je vins ici chercher dans ta tendresse
Pour mon coeur froid la chaleur de ta main,
Dans ton amour l'abri de ma faiblesse;
C'est pres de toi, pour la premiere fois,
Que j'ai connu la douceur de sa voix,
Que le bonheur a passe sur ma route.
Je vais partir. Qu'importe? j'ai vecu.
Qu'il soit beni, malgre ce qu'il en coute
Pour le pleurer apres l'avoir perdu!
Alger, 5 fevrier 1862.
A MON AMI PAUL E.. G..
Paul, as-tu quelquefois, dans tes jours de tristesse,
Senti passer en toi quelque gai souvenir?
Et n'as-tu pas alors, a travers ta detresse,
Songe combien le charme en est doux a sentir?
Moi j'y pensais ce soir, laissant mon feu mourir;
J'errais dans ce passe qui me revient sans cesse.
Je songeais qu'il est loin, et, sans qu'il y paraisse,
Que voila plus d'un an que tu m'as vu partir.
Puis je revais encore, et dans la cheminee
Suivant des yeux la buche a demi consumee,
Je comparais ma vie a ce feu palissant.
Et je songeais, mon cher, a notre douce vie,
A ce qu'un souvenir a de melancolie,
Et qu'il est doux aussi de vieillir en s'aimant.
Alger, mardi soir, 25 fevrier 1862.
A MADAME V***
Puisqu'il vous faut six mois pour etre mon amie,
Avez-vous bien songe, quand vous me les disiez,
A ce que ces deux mots ont de melancolie
Et de douceur aussi? Tandis que vous parliez,
Il me semblait a moi que c'est une folie
Et que pour la prevoir, quoi que vous en pensiez,
Il faut que l'amitie soit un peu ressentie,
Et, meme a votre insu, que vous en eprouviez.
Laissez-moi l'esperer; car apres tout, madame,
S'il n'en est rien, ces vers que vous me deman
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