a qui manquent
les miracles, a qui ne reste que la lutte de la parole, nous devons
convaincre par elle ceux qui cherchent la sagesse comme les Grecs au
temps de saint Paul[100]. Aussi bien, _pour les hommes qui savent
juger_[101], la raison a plus de force que les miracles, qu'on peut
attribuer a quelque pouvoir infernal. Si l'erreur peut se glisser dans
le raisonnement, c'est surtout quand on ignore l'art de l'argumentation.
Il faut donc s'adonner a la logique, qui penetre tout, meme les
questions sacrees, et qui confondra surtout les docteurs presomptueux
qui se croient les memes droits qu'elle."
[Note 100: "Nam et Judaei signa petunt, et Graeci sapientiam
quaerunt." (1 Cor. 1, 22.)]
[Note 101: "Apud discretos" (_loc. cit._, p. 242), ceux qui ont la
_discretion_ ou le discernement, comme dans cette expression: _l'age de
discretion_.]
En meme temps qu'Abelard se defendait de la sorte contre ceux qui
suspectaient sa foi pour cause de philosophie, il avait soin de se
montrer a l'Eglise gardien jaloux des interets de la verite, et prompt a
repousser toute attaque que la dialectique meme pouvait diriger contre
son orthodoxie. On croit qu'il rencontra parmi ses denonciateurs
ce Roscelin qu'il avait autrefois suivi et qui lui-meme avait tant
scandalise l'Eglise. Mais, reconcilie avec elle depuis son retour
d'exil, par les soins d'Ives, dernier eveque de Chartres, Roscelin
pouvait etre devenu d'autant plus intolerant qu'il avait ete persecute,
d'autant plus jaloux qu'il etait oublie. On lui attribue d'ailleurs
quelques-unes des propositions sur la Trinite qu'Abelard, sans le
nommer, attaquait dans son livre[102]. C'etait assez pour le pousser a
la vengeance.
[Note 102: _Ab. Op., Introd. ad. Th._, l. II, p. 1067; Not., p.
1157.--_Hist. litt._, l. XII, p. 122. J'aurais de la peine a reconnaitre
Roscelin parmi les heretiques qu'Abelard caracterise au commencement du
livre II de l'Introduction; mais des erreurs signalees dans le cours
de l'ouvrage, plus d'une peut venir de Roscelin, chef de ces
_pseudo-dialecticiens_, qu'il attaque si vivement. Voyez dans le livre
III de cet ouvrage le c. 11.]
Un jour donc, en 1121[103], Abelard apprend que ce maitre en fausse
dialectique, tachant d'envenimer sa doctrine sur la Trinite, l'a denonce
aux autorites ecclesiastiques. Il prend l'offensive a son tour, et, dans
une lettre vehemente, il denonce a Girbert, eveque de Paris, _et
au venerable clerge de son eglise_, cet _antique e
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