venir. Abelard, sans mepriser
absolument ces attaques, les repoussa avec hauteur, et repondit par
l'insulte et le defi. Toujours confiant et imperieux, il provoquait une
lutte qu'il ne croyait pas, je pense, qu'on osat engager. Comme on lui
reprochait d'avoir applique temerairement la dialectique a la theologie
et donne aux doctrines sacrees les allures d'une science profane, il
publia ou laissa courir une amere apologie (du moins on peut presumer
qu'elle date de cette epoque), ou plutot une invective contre ces
ignorants en dialectique qui prenaient, disait-il, _ses dogmes pour des
sophismes_[99].
[Note 99: "Invectiva in quemdam Ignorum dialecticea." (_Ab. Op._,
pars II, ep. IV, p. 238.)]
"Mais quoi? n'etait-ce pas toujours la fable si connue du renard
dedaignant les cerises qu'il ne pouvait atteindre? Ainsi quelques
docteurs de ce temps, parce qu'ils ne sauraient atteindre a la
dialectique, l'appellent une deception; ce qu'ils ne peuvent comprendre
est sottise; ce qui les passe est un delire. Ils s'appuient, s'il faut
les en croire, sur les livres sacres; mais que de saints docteurs la
recommandent,--cette science qu'ils insultent! On peut leur montrer
des citations des Peres qui jugent la dialectique necessaire pour
comprendre, pour expliquer, pour defendre l'Ecriture. Saint Augustin,
saint Jerome meme lui donnent a resoudre les difficultes de la
foi. Qu'est-ce que les heretiques, sinon des sophistes, et comment
confondrons-nous les sophistes, si ce n'est en nous montrant
dialecticiens? Et nous nous montrerons en proportion disciples fideles
du Christ. Quel est le nom que lui donne l'Evangile? n'est-ce pas celui
de la raison, du verbe incarne, de _cette lumiere qui luit dans les
tenebres_, de ce principe enfin dont le nom grec est l'origine du nom de
la logique? Si le Christ est si souvent appele _sophia_ ou la sagesse,
s'il est le _logos_ ou le verbe, dont parlent et Platon et saint Jean,
les amis de la sagesse ou les _philosophes_, les disciples du verbe
ou les _logiciens_ ne sont que les chretiens les plus fervents. Ne
semblent-ils pas precisement chercher et invoquer ces dons que le
Saint-Esprit transmettait en langues de feu, la parole, l'intelligence
et l'amour? Enfin notre Seigneur lui-meme, pour convaincre les Juifs,
n'a pas dedaigne l'arme de la discussion. Il n'a pas toujours prouve
la foi par des miracles; lui aussi, il a recouru a la puissance de la
raison; et son divin exemple nous enseigne que nous,
|