me montrant le village ou
nous venions de penetrer.
J'apercus pres de la porte un vieux canon en fer. Les rues etaient
etroites et tortueuses; presque toutes les _isbas_[23] etaient
couvertes en chaume. J'ordonnai qu'on me menat chez le commandant,
et presque aussitot ma _kibitka_ s'arreta devant une maison en
bois, batie sur une eminence, pres de l'eglise, qui etait en bois
egalement.
Personne ne vint a ma rencontre. Du perron j'entrai dans
l'antichambre. Un vieil invalide, assis sur une table, etait
occupe a coudre une piece bleue au coude d'un uniforme vert. Je
lui dis de m'annoncer. "Entre, mon petit pere, me dit l'invalide,
les notres sont a la maison." Je penetrai dans une chambre tres
propre, arrangee a la vieille mode. Dans un coin etait dressee une
armoire avec de la vaisselle. Contre la muraille un diplome
d'officier pendait encadre et sous verre. Autour du cadre etaient
ranges des tableaux d'ecorce[24], qui representaient la _Prise de
Kustrin _et _d'Otchakov_, le _Choix de la fiancee_ et
l'_Enterrement du chat par les souris_. Pres de la fenetre se
tenait assise une vieille femme en mantelet, la tete enveloppee
d'un mouchoir.
Elle etait occupee a devider du fil que tenait, sur ses mains
ecartees, un petit vieillard borgne en habit d'officier. "Que
desirez-vous, mon petit pere?" me dit-elle sans interrompre son
occupation. Je repondis que j'etais venu pour entrer au service,
et que, d'apres la regle, j'accourais me presenter a monsieur le
capitaine. En disant cela, je me tournai vers le petit vieillard
borgne, que j'avais pris pour le commandant. Mais la bonne dame
interrompit le discours que j'avais prepare a l'avance.
"Ivan Kouzmitch[25] n'est pas a la maison, dit-elle. Il est alle en
visite chez le pere Garasim. Mais c'est la meme chose, je suis sa
femme. Veuillez nous aimer et nous avoir en grace[26]. Assieds-toi,
mon petit pere."
Elle appela une servante et lui dit de faire venir
_l'ouriadnik_[27]_._ Le petit vieillard me regardait curieusement
de son oeil unique. "Oserais-je vous demander, me dit-il, dans
quel regiment vous avez daigne servir?" Je satisfis sa curiosite.
"Et oserais-je vous demander, continua-t-il; pourquoi vous avez
daigne passer de la garde dans notre garnison?"
Je repondis que c'etait par ordre de l'autorite.
"Probablement pour des actions peu seantes a un officier de la
garde? reprit l'infatigable questionneur.
-- Veux-tu bien cesser de dire des betises? lui
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