our des soldats de la garnison: le tailleur de la
compagnie, arme de ses grands ciseaux emousses, leur coupait les
queues. Ils secouaient la tete et approchaient les levres de la
main de Pougatcheff; celui-ci leur declara qu'ils etaient
pardonnes et recus dans ses troupes. Tout cela dura pres de trois
heures. Enfin Pougatcheff se leva de son fauteuil et descendit le
perron, suivi par les chefs. On lui amena un cheval blanc
richement harnache. Deux Cosaques le prirent par les bras et
l'aiderent a se mettre en selle. Il annonca au pere Garasim qu'il
dinerait chez lui. En ce moment retentit un cri de femme. Quelques
brigands trainaient sur le perron Vassilissa Iegorovna, echevelee
et demi-nue. L'un d'eux s'etait deja vetu de son mantelet; les
autres emportaient les matelas, les coffres, le linge, les
services a the et toutes sortes d'objets.
"O mes peres, criait la pauvre vieille, laissez-moi, de grace; mes
peres, mes peres, menez-moi a Ivan Kouzmitch."
Soudain elle apercut le gibet et reconnut son mari.
"Scelerats, s'ecria-t-elle hors d'elle-meme, qu'en avez-vous fait?
O ma lumiere, Ivan Kouzmitch, hardi coeur de soldat; ni les
baionnettes prussiennes ne t'ont touche, ni les balles turques; et
tu as peri devant un vil condamne fuyard.
-- Faites taire la vieille sorciere!" dit Pougatcheff.
Un jeune Cosaque la frappa de son sabre sur la tete, et elle tomba
morte au bas des degres du perron. Pougatcheff partit; tout le
peuple se jeta sur ses pas.
CHAPITRE VIII
_LA VISITE INATTENDUE_
La place se trouva vide. Je me tenais au meme endroit, ne pouvant
rassembler mes idees troublees par tant d'emotions terribles.
Mon incertitude sur le sort de Marie Ivanovna me tourmentait plus
que toute autre chose. "Ou est-elle? qu'est-elle devenue? a-t-elle
eu le temps de se cacher? sa retraite est-elle sure?" Rempli de
ces pensees accablantes, j'entrai dans la maison du commandant.
Tout y etait vide. Les chaises, les tables, les armoires etaient
brulees, la vaisselle en pieces. Un affreux desordre regnait
partout. Je montai rapidement le petit escalier qui conduisait a
la chambre de Marie Ivanovna, ou j'allais entrer pour la premiere
fois de ma vie. Son lit etait bouleverse, l'armoire ouverte et
devalisee. Une lampe brulait encore devant le _Kivot_[46], vide
egalement. On n'avait pas emporte non plus un petit miroir
accroche entre la porte et la fenetre. Qu'etait devenue l'hotesse
de cette simple et virginale cellule? Un
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