ui t'a dit cela, mon petit pere? reprit Ivan Kouzmitch.
-- Je l'ai entendu dire a Orenbourg, repondis-je.
-- Folies que tout cela, dit le commandant; nous n'en avons pas
entendu depuis longtemps le moindre mot. Les Bachkirs sont un
peuple intimide, et les Kirghises aussi ont recu de bonnes lecons.
Ils n'oseront pas s'attaquer a nous, et s'ils s'en avisent, je
leur imprimerai une telle terreur, qu'ils ne remueront plus de dix
ans.
-- Et vous ne craignez pas, continuai-je en m'adressant a la femme
du capitaine, de rester dans une forteresse exposee a de tels
dangers?
-- Affaire d'habitude, mon petit pere, reprit-elle. Il y a de cela
vingt ans, quand on nous transfera du regiment ici, tu ne saurais
croire comme j'avais peur de ces maudits paiens. S'il m'arrivait
parfois de voir leur bonnet a poil, si j'entendais leurs
hurlements, crois bien, mon petit pere, que mon coeur se
resserrait a mourir. Et maintenant j'y suis si bien habituee, que
je ne bougerais pas de ma place quand on viendrait me dire que les
brigands rodent autour de la forteresse.
-- Vassilissa Iegorovna est une dame tres brave, observa gravement
Chvabrine; Ivan Kouzmitch en sait quelque chose.
-- Mais oui, vois-tu bien! dit Ivan Kouzmitch, elle n'est pas de
la douzaine des poltrons.
-- Et Marie Ivanovna, demandai-je a sa mere, est-elle aussi hardie
que vous?
-- Macha! repondit la dame; non, Macha est une poltronne. Jusqu'a
present elle n'a pu entendre le bruit d'un coup de fusil sans
trembler de tous ses membres. Il y a de cela deux ans, quand Ivan
Kouzmitch s'imagina, le jour de ma fete, de faire tirer son canon,
elle eut si peur, le pauvre pigeonneau, qu'elle manqua de s'en
aller dans l'autre monde. Depuis ce jour-la, nous n'avons plus
tire ce maudit canon."
Nous nous levames de table; le capitaine et sa femme allerent
dormir la sieste, et j'allai chez Chvabrine, ou nous passames
ensemble la soiree.
CHAPITRE IV
_LE DUEL_
Il se passa plusieurs semaines, pendant lesquelles ma vie dans la
forteresse de Belogorsk devint non seulement supportable, mais
agreable meme. J'etais recu comme un membre de la famille dans la
maison du commandant. Le mari et la femme etaient d'excellentes
gens. Ivan Kouzmitch, qui d'enfant de troupe etait parvenu au rang
d'officier, etait un homme tout simple et sans education, mais bon
et loyal. Sa femme le menait, ce qui, du reste, convenait fort a
sa paresse naturelle. Vassilissa Iegorovna dirigeait les
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