roupes? dit la femme du commandant. Palachka, va le
chercher pour diner. Mais ou est donc Macha[31]?"
A peine avait-elle prononce ce nom, qu'entra dans la chambre une
jeune fille de seize ans, au visage rond, vermeil, ayant les
cheveux lisses en bandeau et retenus derriere ses oreilles que
rougissaient la pudeur et l'embarras. Elle ne me plut pas
extremement au premier coup d'oeil; je la regardai avec
prevention. Chvabrine m'avait depeint Marie, la fille du
capitaine, sous les traits d'une sotte. Marie Ivanovna alla
s'asseoir dans un coin et se mit a coudre. Cependant on avait
apporte le _chtchi_[32]. Vassilissa Iegorovna, ne voyant pas
revenir son mari, envoya pour la seconde fois Palachka l'appeler.
"Dis au maitre que les visites attendent; le _chtchi_ se
refroidit. Grace a Dieu, l'exercice ne s'en ira pas, il aura tout
le temps de s'egosiller a son aise."
Le capitaine apparut bientot, accompagne du petit vieillard
borgne.
"Qu'est-ce que cela, mon petit pere? lui dit sa femme. La table
est servie depuis longtemps, et l'on ne peut pas te faire venir.
-- Vois-tu bien, Vassilissa Iegorovna, repondit Ivan Kouzmitch,
j'etais occupe de mon service, j'instruisais mes petits soldats.
-- Va, va, reprit-elle, ce n'est qu'une vanterie. Le service ne
leur va pas, et toi tu n'y comprends rien. Tu aurais du rester a
la maison, a prier le bon Dieu; ca t'irait bien mieux. Mes chers
convives, a table, je vous prie."
Nous primes place pour diner. Vassilissa Iegorovna ne se taisait
pas un moment et m'accablait de questions; qui etaient mes
parents, s'ils etaient en vie, ou ils demeuraient, quelle etait
leur fortune? Quand elle sut que mon pere avait trois cents
paysans:
"Voyez-vous! s'ecria-t-elle, y a-t-il des gens riches dans ce
monde! Et nous, mon petit pere, en fait d'_ames_[33], nous n'avons
que la servante Palachka. Eh bien, grace a Dieu, nous vivons petit
a petit. Nous n'avons qu'un souci, c'est Macha, une fille qu'il
faut marier. Et quelle dot a-t-elle? Un peigne et quatre sous
vaillant pour se baigner deux fois par an. Pourvu qu'elle trouve
quelque brave homme! sinon, la voila eternellement fille."
Je jetai un coup d'oeil sur Marie Ivanovna; elle etait devenue
toute rouge, et des larmes roulerent jusque sur son assiette.
J'eus pitie d'elle, et je m'empressai de changer de conversation.
"J'ai oui dire, m'ecriai-je avec assez d'a-propos, que les
Bachkirs ont l'intention d'attaquer votre forteresse.
-- Q
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