urna chez lui, et je restai seul avec
Chvabrine.
"Notre affaire ne peut pas se terminer ainsi, lui dis-je.
-- Certainement, repondit Chvabrine; vous me payerez avec du sang
votre impertinence. Mais on va sans doute nous observer; il faut
feindre pendant quelques jours. Au revoir."
Et nous nous separames comme s'il ne se fut rien passe.
De retour chez le commandant, je m'assis, selon mon habitude, pres
de Marie Ivanovna; son pere n'etait pas a la maison; sa mere
s'occupait du menage. Nous parlions a demi-voix. Marie Ivanovna me
reprochait l'inquietude que lui avait causee ma querelle avec
Chvabrine.
"Le coeur me manqua, me dit-elle, quand on vint nous dire que vous
alliez vous battre a l'epee. Comme les hommes sont etranges! pour
une parole qu'ils oublieraient la semaine ensuite, ils sont prets
a s'entr'egorger et a sacrifier, non seulement leur vie, mais
encore l'honneur et le bonheur de ceux qui... Mais je suis sure
que ce n'est pas vous qui avez commence la querelle: c'est Alexei
Ivanitch qui a ete l'agresseur.
-- Qui vous le fait croire, Marie Ivanovna?
-- Mais parce que..., parce qu'il est si moqueur! Je n'aime pas
Alexei Ivanitch, il m'est meme desagreable, et cependant je
n'aurais pas voulu ne pas lui plaire, cela m'aurait fort
inquietee.
-- Et que croyez-vous, Marie Ivanovna? lui plaisez-vous, ou non?"
Marie Ivanovna se troubla et rougit: "Il me semble, dit-elle
enfin, il me semble que je lui plais.
-- Pourquoi cela?
-- Parce qu'il m'a fait des propositions de mariage.
-- Il vous a fait des propositions de mariage? Quand cela?
-- L'an passe, deux mois avant votre arrivee,
-- Et vous n'avez pas consenti?
-- Comme vous voyez. Alexei Ivanitch est certainement un homme
d'esprit et de bonne famille; il a de la fortune; mais, a la seule
idee qu'il faudrait, sous la couronne, l'embrasser devant tous les
assistants... Non, non, pour rien au monde."
Les paroles de Marie Ivanovna m'ouvrirent les yeux et
m'expliquerent beaucoup de choses. Je compris la persistance que
mettait Chvabrine a la poursuivre. Il avait probablement remarque
notre inclination mutuelle, et s'efforcait de nous detourner l'un
de l'autre. Les paroles qui avaient provoque notre querelle me
semblerent d'autant plus infames, quand, au lieu d'une grossiere
et indecente plaisanterie, j'y vis une calomnie calculee. L'envie
de punir le menteur effronte devint encore plus forte en moi, et
j'attendais avec impatience le mom
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