vois bien que cette fille est plus
morte que vive."
Vassilissa Iegorovna, que les balles avaient assouplie, jeta un
regard sur la steppe, ou l'on voyait de grands mouvements parmi la
foule, et dit a son mari: "Ivan Kouzmitch, Dieu donne la vie et la
mort; benis Macha; Macha, approche de ton pere." Pale et
tremblante, Marie s'approcha d'Ivan Kouzmitch, se mit a genoux et
le salua jusqu'a terre. Le vieux commandant fit sur elle trois
fois le signe de la croix, puis la releva, l'embrassa, et lui dit
d'une voix alteree par l'emotion: "Eh bien, Macha, sois heureuse;
prie Dieu, il ne t'abandonnera pas. S'il se trouve un honnete
homme, que Dieu vous donne a tous deux amour et raison. Vivez
ensemble comme nous avons vecu ma femme et moi. Eh bien, adieu,
Macha. Vassilissa Iegorovna, emmene-la donc plus vite."
Marie se jeta a son cou, et se mit a sangloter. "Embrassons-nous
aussi, dit en pleurant la commandante. Adieu, mon Ivan Kouzmitch;
pardonne-moi si je t'ai jamais fache.
-- Adieu, adieu, ma petite mere, dit le commandant en embrassant
sa vieille compagne; voyons, assez, allez-vous-en a la maison, et,
si tu en as le temps, mets un _sarafan_[43] a Macha."
La commandante s'eloigna avec sa fille. Je suivais Marie du
regard; elle se retourna et me fit un dernier signe de tete.
Ivan Kouzmitch revint a nous, et toute son attention fut tournee
sur l'ennemi. Les rebelles se reunirent autour de leur chef et
tout a coup mirent pied a terre precipitamment. "Tenez-vous bien,
nous dit le commandant, c'est l'assaut qui commence." En ce moment
meme retentirent des cris de guerre sauvages. Les rebelles
accouraient a toutes jambes sur la forteresse. Notre canon etait
charge a mitraille. Le commandant les laissa venir a tres petite
distance, et mit de nouveau le feu a sa piece. La mitraille frappa
au milieu de la foule, qui se dispersa en tout sens. Leur chef
seul resta en avant, agitant son sabre; il semblait les exhorter
avec chaleur. Les cris aigus, qui avaient un instant cesse,
redoublerent de nouveau. "Maintenant, enfants! s'ecria le
capitaine, ouvrez la porte, battez, le tambour, et en avant!
Suivez-moi pour une sortie!"
Le commandant, Ivan Ignatiitch et moi, nous nous trouvames en un
instant hors du parapet. Mais la garnison, intimidee, n'avait pas
bouge de place. "Que faites-vous donc, mes enfants? s'ecria Ivan
Kouzmitch; s'il faut mourir, mourons; affaire de service!"
En ce moment les rebelles se ruerent sur nous, et
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