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stant:
"Pas si vite, seigneur; au nom du ciel! pas si vite. Ma maudite
rosse ne peut pas attraper ton diable a longues jambes. Pourquoi
te hates-tu de la sorte? Est-ce que nous allons a un festin? Nous
sommes plutot sous la hache, Piotr Andreitch! O Seigneur Dieu! cet
enfant de boyard perira pour rien."
Bientot nous vimes etinceler les feux de Berd. Nous approchames
des profonds ravins qui servaient de fortifications naturelles a
la bourgade. Saveliitch, sans rester pourtant en arriere,
n'interrompait pas ses supplications lamentables. J'esperais
passer heureusement devant la place ennemie, lorsque j'apercus
tout a coup dans l'obscurite cinq paysans armes de gros batons.
C'etait une garde avancee du camp de Pougatcheff. On nous cria:
"Qui vive?" Ne sachant pas le mot d'ordre, je voulais passer
devant eux sans repondre; mais ils m'entourerent a l'instant meme,
et l'un d'eux saisit mon cheval par la bride. Je tirai mon sabre,
et frappai le paysan sur la tete. Son bonnet lui sauva la vie;
cependant il chancela et lacha la bride. Les autres s'effrayerent
et se jeterent de cote. Profitant de leur frayeur, je piquai des
deux et partis au galop. L'obscurite de la nuit, qui
s'assombrissait, aurait pu me sauver de tout encombre, lorsque,
regardant en arriere, je vis que Saveliitch n'etait plus avec moi.
Le pauvre vieillard, avec son cheval boiteux, n'avait pu se
debarrasser des brigands. Qu'avais-je a faire? Apres avoir attendu
quelques instants, et certain qu'on l'avait arrete, je tournai mon
cheval pour aller a son secours.
En approchant du ravin, j'entendis de loin des cris confus et la
voix de mon Saveliitch. Hatant le pas, je me trouvai bientot a la
portee des paysans de la garde avancee qui m'avait arrete quelques
minutes auparavant. Saveliitch etait au milieu d'eux. Ils avaient
fait descendre le pauvre vieillard de sa rosse, et se preparaient
a le garrotter. Ma vue les remplit de joie. Ils se jeterent sur
moi avec de grands cris, et dans un instant je fus a bas de mon
cheval. L'un d'eux, leur chef, a ce qu'il parait, me declara
qu'ils allaient nous conduire devant le tsar.
"Et notre pere, ajouta-t-il, ordonnera s'il faut vous pendre a
l'heure meme, ou si l'on doit attendre la lumiere de Dieu."
Je ne fis aucune resistance. Saveliitch imita mon exemple, et les
sentinelles nous emmenerent en triomphe.
Nous traversames le ravin pour entrer dans la bourgade. Toutes les
maisons de paysans etaient eclairees. On en
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