tombaient sur leurs maisons. Les assauts memes de Pougatcheff
n'excitait plus une grande emotion. Je mourais d'ennui. Le temps
passait lentement. Je ne pouvais recevoir aucune lettre de
Belogorsk, car toutes les routes etaient coupees, et la separation
d'avec Marie me devenait insupportable. Mon seul passe-temps
consistait a faire des promenades militaires.
Grace a Pougatcheff, j'avais un assez bon cheval, avec lequel je
partageais ma maigre pitance. Je sortais tous les jours hors du
rempart, et j'allais tirailler contre les eclaireurs de
Pougatcheff. Dans ces especes d'escarmouches, l'avantage restait
d'ordinaire aux rebelles, qui avaient de quoi vivre abondamment,
et d'excellentes montures. Notre maigre cavalerie n'etait pas en
etat de leur tenir tete. Quelquefois notre infanterie affamee se
mettait aussi en campagne; mais la profondeur de la neige
l'empechait d'agir avec succes contre la cavalerie volante de
l'ennemi. L'artillerie tonnait vainement du haut des remparts, et,
dans la campagne, elle ne pouvait avancer a cause de la faiblesse
des chevaux extenues. Voila quelle etait notre facon de faire la
guerre, et voila ce que les employes d'Orenbourg appelaient
prudence et prevoyance.
Un jour que nous avions reussi a dissiper et a chasser devant nous
une troupe assez nombreuse, j'atteignis un Cosaque reste en
arriere, et j'allais le frapper de mon sabre turc, lorsqu'il ota
son bonnet, et s'ecria:
"Bonjour, Piotr Andreitch; comment va votre sante?"
Je reconnus notre _ouriadnik_. Je ne saurais dire combien je fus
content de le voir.
"Bonjour, Maximitch, lui dis-je; y a-t-il longtemps que tu as
quitte Belogorsk?
-- Il n'y a pas longtemps, mon petit pere Piotr Andreitch; je ne
suis revenu qu'hier. J'ai une lettre pour vous.
-- Ou est-elle? m'ecriai-je tout transporte.
-- Avec moi, repondit Maximitch en mettant la main dans son sein.
J'ai promis a Palachka de tacher de vous la remettre."
Il me presenta un papier plie, et partit aussitot au galop. Je
l'ouvris, et lus avec agitation les lignes suivantes:
"Dieu a voulu me priver tout a coup de mon pere et de ma mere. Je
n'ai plus sur la terre ni parents ni protecteurs. J'ai recours a
vous, parce que je sais que vous m'avez toujours voulu du bien, et
que vous etes toujours pret a secourir ceux qui souffrent. Je prie
Dieu que cette lettre puisse parvenir jusqu'a vous. Maximitch m'a
promis de vous la faire parvenir. Palachka a oui dire aussi a
Maximit
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