, me dit Saveliitch; mais quand il te faudra
remonter ton menage a neuf, nous verrons si tu auras envie de
rire."
Je courus a la maison du pope pour y voir Marie Ivanovna. La femme
du pope vint a ma rencontre pour m'apprendre une douloureuse
nouvelle. Pendant la nuit, la fievre chaude s'etait declaree chez
la pauvre fille. Elle avait le delire. Akoulina Pamphilovna
m'introduisit dans sa chambre. J'approchai doucement du lit. Je
fus frappe de l'effrayant changement de son visage. La malade ne
me reconnut point. Immobile devant elle, je fus longtemps sans
entendre le pere Garasim et sa bonne femme, qui, selon toute
apparence, s'efforcaient de me consoler. De lugubres idees
m'agitaient. La position d'une triste orpheline, laissee seule et
sans defense au pouvoir des scelerats, m'effrayait autant que me
desolait ma propre impuissance; mais Chvabrine, Chvabrine surtout
m'epouvantait. Reste chef, investi des pouvoirs de l'usurpateur,
dans la forteresse ou se trouvait la malheureuse fille objet de sa
haine, il etait capable de tous les exces. Que devais-je faire?
comment la secourir, comment la delivrer? Un seul moyen restait et
je l'embrassai. C'etait de partir en toute hate pour Orenbourg,
afin de presser la delivrance de Belogorsk, et d'y cooperer, si
c'etait possible. Je pris conge du pope et d'Akoulina Pamphilovna,
en leur recommandant avec les plus chaudes instances celle que je
considerais deja comme ma femme. Je saisis la main de la pauvre
jeune fille, et la couvris de baisers et de larmes.
"Adieu, me dit la femme du pope en me reconduisant, adieu, Piotr
Andreitch; peut-etre nous reverrons-nous dans un temps meilleur.
Ne nous oubliez pas et ecrivez-nous souvent. Vous excepte, la
pauvre Marie Ivanovna n'a plus ni soutien ni consolateur."
Sorti sur la place, je m'arretai un instant devant le gibet, que
je saluai respectueusement, et je pris la route d'Orenbourg, en
compagnie de Saveliitch, qui ne m'abandonnait pas.
J'allais ainsi, plonge dans mes reflexions, lorsque j'entendis
tout d'un coup derriere moi un galop de chevaux. Je tournai la
tete et vis un Cosaque qui accourait de la forteresse, tenant en
main un cheval de Bachkir, et me faisant de loin des signes pour
que je l'attendisse. Je m'arretai, et reconnus bientot notre
_ouriadnik_. Apres nous avoir rejoints au galop, il descendit de
son cheval, et me remettant la bride de l'autre: "Votre
Seigneurie, me dit-il, notre pere vous fait don d'un cheval et
d'u
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