s vous etes dit des injures avec Alexei Ivanitch; eh
bien, la belle affaire! une injure ne se pend pas au cou. Il vous
a dit des sottises, dites-lui des impertinences; il vous donnera
une tape, rendez-lui un soufflet; lui un second, vous un
troisieme; et puis allez chacun de votre cote. Dans la suite, nous
vous ferons faire la paix. Tandis que maintenant... Est-ce une
bonne action de tuer son prochain? oserais-je vous demander.
Encore si c'etait vous qui dussiez le tuer! que Dieu soit avec
lui, car je ne l'aime guere. Mais, si c'est lui qui vous perfore,
vous aurez fait un beau coup. Qui est-ce qui payera les pots
casses? oserais-je vous demander."
Les raisonnements du prudent officier ne m'ebranlerent pas. Je
restai ferme dans ma resolution.
"Comme vous voudrez, dit Ivan Ignatiitch, faites ce qui vous
plaira; mais a quoi bon serai-je temoin de votre duel? Des gens se
battent; qu'y a-t-il la d'extraordinaire? oserais-je vous
demander. Grace a Dieu, j'ai approche de pres les Suedois et les
Turcs, et j'en ai vu de toutes les couleurs."
Je tachai de lui expliquer le mieux qu'il me fut possible quel
etait le devoir d'un second. Mais Ivan Ignatiitch etait hors
d'etat de me comprendre.
"Faites a votre guise, dit-il. Si j'avais a me meler de cette
affaire, ce serait pour aller annoncer a Ivan Kouzmitch, selon les
regles du service, qu'il se trame dans la forteresse une action
criminelle et contraire aux interets de la couronne, et faire
observer au commandant combien il serait desirable qu'il avisat
aux moyens de prendre les mesures necessaires..."
J'eus peur, et suppliai Ivan Ignatiitch de ne rien dire au
commandant. Je parvins a grand'peine a le calmer. Cependant il me
donna sa parole de se taire, et je le laissai en repos.
Comme d'habitude, je passai la soiree chez le commandant. Je
m'efforcais de paraitre calme et gai, pour n'eveiller aucun
soupcon et eviter les questions importunes. Mais j'avoue que je
n'avais pas le sang-froid dont se vantent les personnes qui se
sont trouvees dans la meme position. Toute cette soiree, je me
sentis dispose a la tendresse, a la sensibilite. Marie Ivanovna me
plaisait plus qu'a l'ordinaire. L'idee que je la voyais peut-etre
pour la derniere fois lui donnait a mes yeux une grace touchante.
Chvabrine entra. Je le pris a part, et l'informai de mon entretien
avec Ivan Ignatiitch.
"Pourquoi des seconds? me dit-il sechement. Nous nous passerons
d'eux."
Nous convinmes de nous
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