pareille _occasion_ lui soit
arrivee, il ne faut pas lui en faire de reproches; le cheval a
quatre jambes et il bronche. Et vous daignez ecrire que vous
m'enverrez garder les cochons; que ce soit votre volonte de
seigneur. Et maintenant je vous salue jusqu'a terre.
"Votre fidele esclave,
"Arkhip Savelieff."
Je ne pus m'empecher de sourire plusieurs fois pendant la lecture
de la lettre du bon vieillard. Je ne me sentais pas en etat
d'ecrire a mon pere, et, pour calmer ma mere, la lettre de
Saveliitch me semblait suffisante.
De ce jour ma situation changea; Marie Ivanovna ne me parlait
presque plus et tachait meme de m'eviter. La maison du commandant
me devint insupportable; je m'habituai peu a peu a rester seul
chez moi. Dans le commencement, Vassilissa Iegorovna me fit des
reproches; mais, en voyant ma persistance, elle me laissa en
repos. Je ne voyais Ivan Kouzmitch que lorsque le service
l'exigeait. Je n'avais que de tres rares entrevues avec Chvabrine,
qui m'etait devenu d'autant plus antipathique que je croyais
decouvrir en lui une inimitie secrete, ce qui me confirmait
davantage dans mes soupcons. La vie me devint a charge. Je
m'abandonnai a une noire melancolie, qu'alimentaient encore la
solitude et l'inaction. Je perdis toute espece de gout pour la
lecture et les lettres. Je me laissais completement abattre et je
craignais de devenir fou, lorsque des evenements soudains, qui
eurent une grande influence sur ma vie, vinrent donner a mon ame
un ebranlement profond et salutaire.
CHAPITRE VI
_POUGATCHEFF_
Avant d'entamer le recit des evenements etranges dont je fus le
temoin, je dois dire quelques mots sur la situation ou se trouvait
le gouvernement d'Orenbourg vers la fin de l'annee 1773. Cette
riche et vaste province etait habitee par une foule de peuplades a
demi sauvages, qui venaient recemment de reconnaitre la
souverainete des tsars russes. Leurs revoltes continuelles, leur
impatience de toute loi et de la vie civilisee, leur inconstance
et leur cruaute demandaient, de la part du gouvernement, une
surveillance constante pour les reduire a l'obeissance. On avait
eleve des forteresses dans les lieux favorables, et dans la
plupart on avait etabli a demeure fixe des Cosaques, anciens
possesseurs des rives du Iaik. Mais ces Cosaques eux-memes, qui
auraient du garantir le calme et la securite de ces contrees,
etaient devenus depuis quelque temps des sujets inquiet et
dangereux pour le gouverneme
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