ch qu'il vous voit souvent de loin dans les sorties, et que
vous ne vous menagez pas, sans penser a ceux qui prient Dieu pour
vous avec des larmes. Je suis restee longtemps malade, et lorsque
enfin j'ai ete guerie, Alexei Ivanitch, qui commande ici a la
place de feu mon pere, a force le pere Garasim de me remettre
entre ses mains, en lui faisant peur de Pougatcheff. Je vis sous
sa garde dans notre maison. Alexei Ivanitch me force a l'epouser.
Il dit qu'il m'a sauve la vie en ne decouvrant pas la ruse
d'Akoulina Pamphilovna quand elle m'a fait passer pres des
brigands pour sa niece; mais il me serait plus facile de mourir
que de devenir la femme d'un homme comme Chvabrine. Il me traite
avec beaucoup de cruaute, et menace, si je ne change pas d'avis,
si je ne consens pas a ses propositions, de me conduire dans le
camp du bandit, ou j'aurai le sort d'Elisabeth Kharloff[55]. J'ai
prie Alexei Ivanitch de me donner quelque temps pour reflechir. Il
m'a accorde trois jours; si, apres trois jours, je ne deviens pas
sa femme, je n'aurai plus de menagement a attendre. O mon pere
Piotr Andreitch, vous etes mon seul protecteur. Defendez-moi,
pauvre fille. Suppliez le general et tous vos chefs de nous
envoyer du secours aussitot que possible, et venez vous-meme si
vous le pouvez. Je reste votre orpheline soumise,
"Marie Mironoff."
Je manquai de devenir fou a la lecture de cette lettre. Je
m'elancai vers la ville, en donnant sans pitie de l'eperon a mon
pauvre cheval. Pendant la course je roulai dans ma tete mille
projets pour delivrer la malheureuse fille, sans pouvoir m'arreter
a aucun. Arrive dans la ville, j'allai droit chez le general, et
j'entrai en courant dans sa chambre.
Il se promenait de long en large, et fumait dans sa pipe d'ecume.
En me voyant, il s'arreta; mon aspect sans doute l'avait frappe,
car il m'interrogea avec une sorte d'anxiete sur la cause de mon
entree si brusque.
"Votre Excellence, lui dis-je, j'accours aupres de vous comme
aupres de mon pauvre pere. Ne repoussez pas ma demande; il y va du
bonheur de toute ma vie.
-- Qu'est-ce que c'est, mon pere? demanda le general stupefait;
que puis-je faire pour toi? Parle.
-- Votre Excellence, permettez-moi de prendre un bataillon de
soldats et un demi-cent de Cosaques pour aller balayer la
forteresse de Belogorsk."
Le general me regarda fixement, croyant sans doute que j'avais
perdu la tete, et il ne se trompait pas beaucoup.
"Comment? comme
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