it pas assez de domestiques dans la
maison?"
Beaupre, dans sa patrie, avait ete coiffeur, puis soldat en
Prusse, puis il etait venu en Russie pour etre _outchitel_, sans
trop savoir la signification de ce mot[2]. C'etait un bon garcon,
mais etonnamment distrait et etourdi. Il n'etait pas, suivant son
expression, ennemi de la bouteille, c'est-a-dire, pour parler a la
russe, qu'il aimait a boire. Mais, comme on ne presentait chez
nous le vin qu'a table, et encore par petits verres, et que, de
plus, dans ces occasions, on passait _l'outchitel_, mon Beaupre
s'habitua bien vite a l'eau-de-vie russe, et finit meme par la
preferer a tous les vins de son pays, comme bien plus stomachique.
Nous devinmes de grands amis, et quoique, d'apres le contrat, il
se fut engage a m'apprendre _le francais, l'allemand et toutes les
sciences, _il aima mieux apprendre de moi a babiller le russe tant
bien que mal. Chacun de nous s'occupait de ses affaires; notre
amitie etait inalterable, et je ne desirais pas d'autre mentor.
Mais le destin nous separa bientot, et ce fut a la suite d'un
evenement que je vais raconter.
Quelqu'un raconta en riant a ma mere que Beaupre s'enivrait
constamment. Ma mere n'aimait pas a plaisanter sur ce chapitre;
elle se plaignit a son tour a mon pere, lequel, en homme
expeditif, manda aussitot cette _canaille de Francais_. On lui
repondit humblement que le _moussie_ me donnait une lecon. Mon
pere accourut dans ma chambre. Beaupre dormait sur son lit du
sommeil de l'innocence. De mon cote, j'etais livre a une
occupation tres interessante. On m'avait fait venir de Moscou une
carte de geographie, qui pendait contre le mur sans qu'on s'en
servit, et qui me tentait depuis longtemps par la largeur et la
solidite de son papier. J'avais decide d'en faire un cerf-volant,
et, profitant du sommeil de Beaupre, je m'etais mis a l'ouvrage.
Mon pere entra dans l'instant meme ou j'attachais une queue au cap
de Bonne-Esperance. A la vue de mes travaux geographiques, il me
secoua rudement par l'oreille, s'elanca pres du lit de Beaupre,
et, reveillant sans precaution, il commenca a l'accabler de
reproches. Dans son trouble, Beaupre voulut vainement se lever; le
pauvre _outchitel_ etait ivre mort. Mon pere le souleva par le
collet de son habit, le jeta hors de la chambre et le chassa le
meme jour, a la joie inexprimable de Saveliitch. C'est ainsi que
se termina mon education.
Je vivais en fils de famille (_nedorossl_[3]), m'amus
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