etit enfant. On me mit sur le corps un court
_touloup_[8] de peau de lievre, et, par-dessus, une grande pelisse
en peau de renard. Je m'assis dans la _kibitka_ avec Saveliitch,
et partis -pour ma destination en pleurant amerement.
J'arrivai dans la nuit a Sirabirsk, ou je devais rester vingt-
quatre heures pour diverses emplettes confiees a Saveliitch. Je
m'etais arrete dans une auberge, tandis que, des le matin,
Saveliitch avait ete courir les boutiques. Ennuye de regarder par
les fenetres sur une ruelle sale, je me mis a errer par les
chambres de l'auberge. J'entrai dans la piece du billard et j'y
trouvai un grand monsieur d'une quarantaine d'annees, portant de
longues moustaches noires, en robe de chambre, une queue a la main
et une pipe a la bouche. Il jouait avec le marqueur, qui buvait un
verre d'eau-de-vie s'il gagnait, et, s'il perdait, devait passer
sous le billard a quatre pattes. Je me mis a les regarder jouer;
plus leurs parties se prolongeaient, et plus les promenades a
quatre pattes devenaient frequentes, si bien qu'enfin le marqueur
resta sous le billard. Le monsieur prononca sur lui quelques
expressions energiques, en guise d'oraison funebre, et me proposa
de jouer une partie avec lui. Je repondis que je ne savais pas
jouer au billard. Cela lui parut sans doute fort etrange. Il me
regarda avec une sorte de commiseration. Cependant l'entretien
s'etablit. J'appris qu'il se nommait Ivan Ivanovitch[9] Zourine,
qu'il etait chef d'escadron dans les hussards ***, qu'il se
trouvait alors a Simbirsk pour recevoir des recrues, et qu'il
avait pris son gite a la meme auberge que moi. Zourine m'invita a
diner avec lui, a la soldat, et, comme on dit, de ce que Dieu nous
envoie. J'acceptai avec plaisir; nous nous mimes a table; Zourine
buvait beaucoup et m'invitait a boire, en me disant qu'il fallait
m'habituer au service. Il me racontait des anecdotes de garnison
qui me faisaient rire a me tenir les cotes, et nous nous levames
de table devenus amis intimes. Alors il me proposa de m'apprendre
a jouer au billard. "C'est, dit-il, indispensable pour des soldats
comme nous. Je suppose, par exemple, qu'on arrive dans une petite
bourgade; que veux-tu qu'on y fasse? On ne peut pas toujours
rosser les juifs. Il faut bien, en definitive, aller a l'auberge
et jouer au billard, et pour jouer il faut savoir jouer." Ces
raisons me convainquirent completement, et je me mis a prendre ma
lecon avec beaucoup d'ardeur. Zourine m'enco
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