expression de douleur, et alla chercher
mon argent. J'avais pitie du pauvre vieillard; mais je voulais
m'emanciper et prouver que je n'etais pas un enfant. Zourine eut
ses cent roubles. Saveliitch s'empressa de me faire quitter la
maudite auberge; il entra en m'annoncant que les chevaux etaient
atteles. Je partis de Simbirsk avec une conscience inquiete et des
remords silencieux, sans prendre conge de mon maitre et sans
penser que je dusse le revoir jamais.
CHAPITRE II
_LE GUIDE_
Mes reflexions pendant le voyage n'etaient pas tres agreables.
D'apres la valeur de l'argent a cette epoque, ma perte etait de
quelque importance. Je ne pouvais m'empecher de convenir avec moi-
meme que ma conduite a l'auberge de Simbirsk avait ete des plus
sottes, et je me sentais coupable envers Saveliitch. Tout cela me
tourmentait. Le vieillard se tenait assis, dans un silence morne,
sur le devant du traineau, en detournant la tete et en faisant
entendre de loin en loin une toux de mauvaise humeur. J'avais
fermement resolu de faire ma paix avec lui; mais je ne savais par
ou commencer. Enfin je lui dis: "Voyons, voyons, Saveliitch,
finissons-en, faisons la paix. Je reconnais moi-meme que je suis
fautif. J'ai fait hier des betises et je t'ai offense sans raison.
Je te promets d'etre plus sage a l'avenir et de le mieux ecouter.
Voyons, ne te fache plus, faisons la paix.
-- Ah! mon pere Piotr Andreitch, me repondit-il avec un profond
soupir, je suis fache contre moi-meme, c'est moi qui ai tort par
tous les bouts. Comment ai-je pu te laisser seul dans l'auberge?
Mais que faire? Le diable s'en est mele. L'idee m'est venue
d'aller voir la femme du diacre qui est ma commere, et voila,
comme dit le proverbe: j'ai quitte la maison et suis tombe dans la
prison. Quel malheur! quel malheur! Comment reparaitre aux yeux de
mes maitres? Que diront-ils quand ils sauront que leur enfant est
buveur et joueur?"
Pour consoler le pauvre Saveliitch, je lui donnai ma parole qu'a
l'avenir je ne disposerais pas d'un seul kopek sans son
consentement. Il se calma peu a peu, ce qui ne l'empecha point
cependant de grommeler encore de temps en temps en branlant la
tete: "Cent roubles! c'est facile a dire".
J'approchais du lieu de ma destination. Autour de moi s'etendait
un desert triste et sauvage, entrecoupe de petites collines et de
ravins profonds. Tout etait couvert de neige. Le soleil se
couchait. Ma _kibitka_ suivait l'etroit chemin, ou plutot la tra
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