emme forte et faite, qui sentit les
romances sentimentales des premiers ans se taire sous les rudes
atteintes d'une existence sans pitie. On pourrait retracer de meme les
lentes phases du caractere de Frederic Moreau et de Mme Arnoux, qui tous
deux eprouvent aussi l'humiliation de se sentir transformes par le
passage des jours, petris et malleables au cours des passions et des
incidents.
Le souci du vrai et la reussite a le rendre que montrent la psychologie
et les descriptions realistes de Flaubert, le suivent dans ses oeuvres
d'imagination. Quand cet homme, qu'excede visiblement le spectacle du
monde moderne, s'adonne a l'evocation d'epoques que son esprit
apercevait eclatantes et grandioses, il ne peut depouiller son realisme
et se sent imperieusement force d'etayer sa fantaisie du positif des
donnees archeologiques. Avant d'entreprendre _Salammbo_, il explore le
site de Carthage, note le bleu de son ciel et la configuration de son
territoire. Puis, remuant les bibliotheques, s'etant assimile le peu que
l'on sait sur la metropole punique, incertain encore et connaissant le
besoin d'amplifier son recueil de faits, il recourt par surcroit a
l'archeologie biblique et semitique, s'emplit encore la cervelle de tout
ce que les litteratures classiques contiennent de farouche et de fruste.
Pour la _Tentation de saint Antoine_, de meme, pas une ligne dans cette
serie d'hallucinations qui n'eut pu donner lieu a un renvoi en
italiques.
"Je suis perdu dans les religions de la Perse, ecrit-il dans sa
correspondance, je tache de me faire une idee nette du dieu Hom, ce qui
n'est pas facile. J'ai passe tout le mois de juin a etudier le
bouddhisme, sur lequel j'avais deja beaucoup de notes, mais j'ai voulu
epuiser la matiere autant que possible. Aussi ai-je un petit Bouddha que
je crois aimable."
Et pour l'extravagant final de ce livre:
"Dans la journee, je m'amuse a feuilleter des belluaires du moyen age; a
chercher dans les "auteurs" ce qu'il y a de plus baroque comme animaux.
Je suis au milieu des monstres fantastiques. Quand j'aurai a peu pres
epuise la matiere, j'irai au Museum revasser devant les monstres reels,
et puis les recherches pour le bon saint Antoine seront finies."
Enfin, M. Maxime du Camp nous dit que pour ce pur conte, la _Legende de
saint Julien l'hospitalier_, il a prete a Flaubert toute une collection
de traites de venerie et d'armurerie. Que l'on rapproche ces lectures de
celles qu'il fit pour ecrire
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