ouble, departie entre le vrai et
le beau. La tragique histoire de _Madame Bovary_ raconte en sa froide
exactitude la ruine d'une ame forte et irresignee qu'avilit et qu'ecrase
la bassesse stupide de tous. L'_Education sentimentale_ conduit, par
l'infini dedale des laches amours de Frederic Moreau, de la rubiconde
infamie d'Arnoux, a la double beaute de Marie Arnoux; ce livre apprend a
mesurer les extremes de l'humanite. Il est des heures ou du spectacle
des choses s'exhale le pessimisme parfois pueril de _Bouvard et
Pecuchet_, que corrige la cordiale pitie empreinte dans le premier des
_Trois Contes_. Les pages qui le suivent consolent par d'augustes
spectacles d'avoir vu et penetre la vie. L'irresistible charme de la
_Legende_, la seche beaute d'_Herodias_, induisent a _Salammbo_ ou la
pourpre et les ors du style expriment, en une supreme fanfare, l'exquis,
le grandiose et le fulgurant. En l'oeuvre maitresse, la _Tentation de
saint Antoine_, le beau et le vrai s'allient par l'allegorie; penetree
de signification et decoree de splendeur, cette oeuvre consigne en un
dernier effort tout le testament spirituel et mystique de Gustave
Flaubert.
Cette ordonnance n'est point absolue. Les oeuvres ou Flaubert s'est le
plus abandonne au terne cours de la vie, sont teintes parfois
d'incomparables beautes de style et d'ame. Il est meme des passages dans
l'_Education sentimentale_ qui, dans leur tentative d'exprimer
d'indefinissables mouvements d'ames, touchent au mystere. Et si la
beaute rayonne dans _Salammbo_, la _Tentation_, _Herodias_, la
_Legende_, elle y est definie et corroboree par un realisme historique
plein de minutie. Le pessimisme qu'affirme _Bouvard et Pecuchet_ ne
ressort pas plus des tristes denouements des romans, que des farouches
destinees qui s'appesantissent dans _Salammbo_ et des continus
effarements avec lesquels saint Antoine contemple l'ecroulement de ses
erreurs. Ainsi melees en des alliages ou chaque element predomine
alternativement, les deux passions de Flaubert, la beaute exaltee
jusqu'au mystere, et la verite suivie de pessimisme, composent les
livres que nous analysons.
_Le realisme_: Le realisme, qu'il faut definir la tendance a voir dans
les objets denues de beaute matiere a oeuvre d'art, est pousse chez
Flaubert a ses extremes limites, et, en fait, certains cotes exterieurs
de _Madame Bovary_ et de l'_Education_ n'ont pas ete depasses par les
romanciers modernes. Flaubert s'est astreint a decr
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