taillees tout expres pour ses longs regards
amoureux ou la prunelle se perdait, tandis qu'un souffle fort ecartait
ses narines minces et relevait le coin charnu de ses levres
qu'ombrageait a la lumiere un peu de duvet noir. On eut dit qu'un
artiste habile en corruptions avait dispose sur sa nuque la torsade de
ses cheveux; ils s'enroulaient en masse lourde negligemment et selon les
hasards de l'adultere qui les denouait tous les jours. Sa voix
maintenant prenait des inflexions plus molles, sa taille aussi; quelque
chose de subtil qui vous penetrait se degageait meme des draperies de sa
robe et de la cambrure de son pied."
Et cet art de raccourci qui surprend en chaque etre le trait individuel
et differentiel, atteint dans la _Tentation de saint Antoine_ une
perfection superieure; dans ce livre ou chaque apparition est decrite en
quelque phrases concises, il n'en est pas qui ne fixe dans le souvenir
une effigie distincte, dont quelques-unes--la reine de Saba,
Helene-Ennoia, les femmes montanistes,--sont inoubliables.
Par un procede analogue, fragmentaire et laborieux, Flaubert montre les
ames qui actionnent ces corps et ces visages. Usant d'une serie de
moyens qui reviennent a indiquer un etat d'ame momentane de la facon la
plus sobre et en des mots dont le lecteur doit completer le sens
profond, il dit tantot un acte significatif sans l'accompagner de
l'enonce de la deliberation antecedente, tantot la maniere particuliere
dont une sensation est percue en une disposition; enfin il transpose la
description des sentiments durables soit en metaphores materielles, soit
dans les images qui peuvent passer dans une situation donnee par
l'esprit de ses personnages.
Le dessin du caractere de Mme Bovary presente tous ces procedes. Par des
faits, des paroles, des gestes, des actes, sont signifies les debuts de
son hysterisme, son aversion pour son mari, son premier amour, les
crises decisives et finales de sa douloureuse carriere. Par des
indications de sensations, la plenitude de sa joie en certains de ses
rendez-vous, et encore l'ame vide et frileuse qu'elle promenait sur les
plaines autour de Tostes:
"Il arrivait parfois des rafales de vent, brises de la mer, qui, roulant
d'un bond sur tout le plateau du pays de Caux, apportaient jusqu'au loin
dans les champs une fraicheur salee. Les joncs sifflaient a ras de terre
et les feuilles des hetres bruissaient en un frisson rapide, tandis que
les cimes se balancant toujours con
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