a evoquer aux yeux des spectateurs
une image differant par exces de l'idee qui a pu se former dans l'esprit
du plus grand nombre d'entre eux.
Voici entre autres un exemple. Dans un drame intitule _Smilis_, joue
recemment a la Comedie-Francaise, on voyait, au premier acte, deux vieux
amis, l'un amiral, l'autre commandant, se retrouvant apres une longue
separation, tomber dans les bras l'un de l'autre. Or les acteurs avaient
cru devoir ajouter le baiser a l'accolade, baiser franchement donne et
recu, et entendu de tous les spectateurs qui ne pouvaient reprimer un
sourire, temoignage instinctif de leur etonnement. C'est qu'en effet
c'etait une faute de mise en scene de la part des deux excellents
comediens, provenant precisement d'une judicieuse et reelle observation:
beaucoup de personnes savent que les militaires et les marins ont
l'inoffensive habitude de s'embrasser fraternellement quand ils se
retrouvent dans leur carriere aventureuse. Mais les comediens avaient eu
le tort de relever un trait particulier ne s'accordant pas avec l'idee
generale que se forme le public de deux hommes qui se jettent dans les
bras l'un de l'autre. L'embrassade, en effet, n'admet, dans la vie
reelle, que le simulacre du baiser, qui aux yeux de la plupart des
hommes est un acte entache d'un peu de ridicule. Voila donc une legere
faute de mise en scene qui a precisement pour cause l'observation exacte
de la nature dans certains cas particuliers; et la faute a consiste dans
la substitution d'une image particuliere a l'image generale qui seule
repondait a l'idee que se faisaient du fait represente les dix-huit
cents spectateurs.
A un autre point de vue, d'ailleurs, on peut dire qu'au theatre, en
dehors de certains cas particuliers, comme par exemple dans l'expression
du sentiment filial, le baiser n'est tolere que s'il est donne ou recu
par une femme. En general, les acteurs n'en doivent jamais faire que le
simulacre. _Le Mariage de Figaro_ nous facilite la determination de la
limite au dela de laquelle on choquerait la bienseance. Au cinquieme
acte, lorsque Cherubin, croyant embrasser Suzanne, embrasse le comte
Almaviva, tout spectateur attentif a ses propres impressions s'apercevra
que la realite du baiser serait choquante si le role de Cherubin etait
rempli par un homme, et que si elle ne l'est pas, c'est qu'il sait que
sous les traits et sous le costume du page c'est une femme qui donne ce
baiser a l'acteur qui joue le role du comte.
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