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presence des etres qui,
sous des apparences reelles, n'etaient qu'idealement vrais. Sous les
traits individuels que leur pretaient les acteurs, les personnages de
theatre etaient des types generaux que la nature ne nous offre jamais et
que l'esprit peut seul concevoir et se representer. Aussi le point de
depart essentiel de cet art transcendant etait la convention. Ce qui,
dans tout drame et dans toute comedie, etait idealement vrai, c'etaient
les vertus, les vices, les caracteres ou les passions. C'etait la que
portait tout l'effort de la creation artistique, de l'observation
philosophique et de l'imagination poetique; et ces etres, en quelque
sorte abstraits, prenaient alors une intensite de vie morale d'une
puissance extraordinaire et veritablement surhumaine. Compares aux
personnages de theatre, les etres reels n'en paraissaient que des
extraits incomplets et inacheves, a peine ebauches. Jamais, en effet,
l'humanite n'aurait pu les realiser en entier. Seule la poesie pouvait
creer de toutes pieces ces etres dont la nature avait eparpille tous les
traits sur des milliers d'exemplaires humains. Mais quelle etait alors
la grandeur tragique ou la profondeur comique du spectacle qu'offraient
aux esprits, longuement prepares a le comprendre et a le gouter, la
rencontre et le conflit de ces personnages plus vrais que la realite
elle-meme! L'interet de ce jeu poetique etait si puissant, que le reste
etait de peu d'importance: ce n'etait qu'une affaire de convention
definitivement et prealablement reglee entre le poete et le spectateur.
Qu'importe d'ou viennent et ou vont Scapin, Lisette, Geronte, Eraste et
Isabelle, reunis par le caprice du poete dans un meme enchevetrement
d'evenements, pourvu que nous riions des fourberies de l'un, de la
malice de l'autre, de la sottise de celui-ci, et que nous assistions au
triomphe final des amants! Qu'importe qu'ils se rencontrent ici ou la,
dans un decor representant un appartement ou une place publique! C'est
par pure bonte d'ame que le poete daigne parfois nous apprendre que la
scene se passe a Naples ou a Paris: nous n'avons que faire de le savoir,
puisque ce sont les memes personnages, qu'il transporte a son gre aux
quatre coins du monde. Qui songe a reprocher a ces personnages de
s'asseoir et de discourir au beau milieu d'une place publique?
Qu'importe, pourvu que ces personnages nous eblouissent des etincelles
de leur esprit, que la verite psychologique et que l'observation mora
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