le
naissent du choc de leurs caracteres et du conflit ou les engagent leurs
passions! Ce spectacle a le pouvoir magique d'offrir a nos meditations
l'etre humain, degage de toutes les realites qui l'encombrent et le
masquent. Mais, pour s'y plaire, il faut que l'esprit soit des longtemps
forme a l'abstraction et a la synthese, et qu'il accorde au fait moral
une superiorite constante sur le fait materiel. En un mot, il lui faut
la foi, une foi en quelque sorte innee, pour croire a la verite degagee
du reel, pour etre convaincu que la peinture de l'ideal est l'unique
raison d'etre de l'art.
Les foules qui montent des tenebres a la lumiere et qui des bas-fonds
de l'humanite s'elevent a toutes les jouissances d'une vie sociale
superieure ne sont pas predisposees par l'education, par l'instruction,
par l'influence hereditaire que les generations exercent les unes
sur les autres, a jouir d'un art qui s'est degage de la realite,
c'est-a-dire de ce qui leur semble etre toute la verite. Elles ne
savent pas voir par les yeux seuls de l'esprit et sont dominees par les
sensations directement percues par les organes de l'ouie, de la vue et
du toucher. Toujours en contact avec la realite, elles n'apprecient les
objets qu'un a un, les estiment pour leur qualite visible ou tangible,
et, ne s'elevant pas aux classifications generales, ne s'interessent aux
etres et aux objets que par leurs traits individuels et particuliers.
Comme cependant elles ont une sensibilite tres vive, d'autant plus vive
qu'elle n'a pas ete emoussee ou affinee par de frequentes emotions
esthetiques, elles prennent souvent plaisir aux spectacles tragiques ou
comiques de l'art classique, mais dans des conditions intellectuelles et
morales toutes particulieres. Elles ne separent pas l'action tragique ou
comique de la possibilite reelle, ramenent les heros de la tragedie
et les personnages de la comedie dans le cercle etroit de leur vue
immediate, et leur esprit en change singulierement les proportions, en
appliquant a ces creations ideales une sorte de compas de reduction.
Elles s'interessent non au developpement poetique et moral des
personnages, mais a l'acte qu'ils accomplissent; non a la verite
generale qu'ils representent, mais aux traits particuliers sous lesquels
la verite se manifeste et au fait qui en est l'occasion. Leur emotion
au theatre n'est jamais ou n'est que tres rarement esthetique: c'est
pourquoi elles ne pleurent pas exactement aux memes endroits
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