'histoire touchante de Rebecca et d'Eliezer. Ici, c'est tres justement
que l'art theatral s'associe activement a une situation veritablement
dramatique; et si on etudie attentivement l'enchainement de cette cause
toute objective a l'effet dramatique qui en decoule, on verra que la
presentation reelle de l'eau determine une representation ideale, dans
l'imagination de Sichel et lui fournit la forme particuliere dont va se
revetir sa pensee. Ce n'est pas l'eau qui suggere au rabbin l'idee
de sonder le coeur de la jeune fille; elle ne lui offre que le moyen
immediat d'y parvenir. La fontaine, qui procure a nos yeux l'illusion de
la realite, n'est donc pas la cause finale de la scene entre Sichel et
Suzel; elle n'en est que la cause formelle. Sous ce rapport, cet emploi
remarquablement habile de l'illusion theatrale est un modele puisqu'il
nous permet d'en deduire une loi importante de l'esthetique theatrale et
dramatique, que l'on peut formuler ainsi: La realite contingente ne peut
jamais etre une des causes finales du drame; elle ne peut en etre qu'une
des causes formelles.
On ne peut nier que la realite, en montant sur la scene et en venant y
jouer le role qui lui est propre et y exercer une influence contingente,
ne contribue, absolument comme cela se passe dans la vie, a modifier,
a diversifier et, par suite, a enrichir la pensee poetique en lui
fournissant des formes nouvelles et imprevues. Deux ames mises et
maintenues en presence, en dehors de toute influence objective, ne
peuvent echanger que des idees purement psychologiques. Ces deux ames
rentreront dans les donnees plus exactes de la vie, si elles puisent
dans la realite ambiante une forme plus variee de raisonnement et les
elements plus prochains de leur eloquence. Toutefois, il est a peine
besoin de faire remarquer que l'intervention d'une cause objective ne
peut etre admise, que lorsqu'elle derive d'une possibilite anterieure.
Elle ne doit etre, en effet, qu'une cause seconde; c'est ainsi que
l'acte de venir puiser de l'eau a la fontaine, dans l'exemple pris de
_l'Ami Fritz_, n'est qu'une consequence de la condition de Suzel et du
milieu ou se developpe l'action; il se rattache donc logiquement aux
donnees memes du poeme dramatique.
Bien differente et moins justifiable serait l'intervention d'une cause
objective, si celle-ci etait une cause premiere, si, par exemple, le
caractere de la decoration devait peser sur la resolution du personnage
dramatique. Cel
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