rres. Il s'etait fait une vie de hauts et de bas perpetuels.
Les brusques transitions de la reverie a l'exaltation et de la nonchalance
absolue aux exces bruyants etaient devenues un etat normal dont il ne
pouvait plus se passer. Le bonheur delicieusement savoure pendant quelques
jours arrivait a l'irriter comme la vue de la mer par un calme
plat.
--Tu es heureuse, disait-il a Therese, de te reveiller tous les matins
avec le coeur a la meme place. Moi, je perds le mien en dormant. C'est
comme le bonnet de nuit que ma bonne me mettait quand j'etais enfant: elle
le retrouvait tantot a mes pieds, tantot par terre.
Therese se dit que la serenite ne pouvait venir tout d'un coup a cette ame
troublee et qu'il fallait l'y habituer par degres. Pour cela, il ne
fallait pas l'empecher de retourner quelquefois a la vie active: mais que
faire pour que cette activite ne fut pas une souillure, un coup mortel
porte a leur ideal? Therese ne pouvait pas etre jalouse des maitresses que
Laurent avait eues; mais elle ne comprenait pas comment elle pourrait
l'embrasser au front le lendemain d'une orgie. Il fallait donc, puisque le
travail qu'il avait repris avec ardeur l'excitait au lieu de l'apaiser,
chercher avec lui une issue a cette force. L'issue naturelle eut ete
l'enthousiasme de l'amour; mais c'etait la encore une excitation apres
laquelle Laurent eut voulu escalader le troisieme ciel: faute d'en avoir
la puissance, il regardait du cote de l'enfer, et son cerveau, son visage
meme, en recevaient un reflet parfois diabolique.
Therese etudia ses gouts et ses fantaisies, et fut surprise de les trouver
faciles a satisfaire. Laurent etait avide de diversion et d'imprevu; il
n'etait pas necessaire de le promener dans des enchantements irrealisables,
il suffisait de le promener n'importe ou, et de lui trouver un amusement
auquel il ne s'attendit pas. Si, au lieu de lui donner a diner chez elle,
Therese lui annoncait, en mettant son chapeau, qu'ils allaient diner
ensemble chez un restaurateur, et si, au lieu de tel theatre ou elle
l'avait prie de la conduire, elle lui demandait tout a coup de la mener a
un spectacle tout different, il etait ravi de cette distraction inattendue
et y prenait le plus grand plaisir, tandis qu'en se conformant a un plan
quelconque trace d'avance, il eprouvait un insurmontable malaise et le
besoin de tout denigrer. Therese le traita donc comme un enfant en
convalescence a qui l'on ne refuse rien, et elle ne vou
|