jour ou il la trouve sanglante et brisee
sous les pieds d'un autre homme?
"Je suis ici dans un affreux et magnifique petit port de mer ou j'attends
assez passivement le mot de ma destinee. Peut-etre Palmer est-il a la
Spezzia, a trois lieues d'ici. C'est la que nous nous etions donne
rendez-vous. Et moi, comme une boudeuse, ou plutot comme une peureuse, je
ne peux pas me decider a aller lui dire: "Me voila!" Non, non! s'il doute
de moi, rien n'est plus possible entre nous! J'ai pardonne a l'autre cinq
ou six outrages par jour. A celui-ci je ne pourrais passer l'ombre d'un
soupcon. Est-ce de l'injustice? Non! il me faut desormais un amour sublime
ou rien! Ai-je donc cherche le sien? Il me l'a impose en me disant: "Ce
sera le ciel!" _L'autre_ m'avait bien dit que ce serait peut-etre l'enfer
qu'il m'apportait! Il ne m'a pas trompee. Eh bien, il ne faut pas que
Palmer me trompe en se trompant lui-meme; car, apres cette nouvelle erreur,
il ne me resterait plus qu'a nier tout, a me dire que, comme Laurent,
j'ai a jamais perdu par ma faute le droit de croire, et je ne sais pas si
avec cette certitude-la je supporterais la vie, moi!
"Pardon, ma bien-aimee, mes agitations vous font du mal, j'en suis sure,
bien que vous disiez qu'il vous les faut! N'ayez du moins pas d'inquietude
pour ma sante; je me porte a merveille, j'ai sous les yeux la plus belle
mer, et sur la tete le plus beau ciel qui se puissent imaginer. Je ne
manque de rien, je suis chez de braves gens, et peut-etre demain vous
ecrirai-je que mes incertitudes sont evanouies. Aimez toujours votre
Therese, qui vous adore."
Palmer etait, en effet, a la Spezzia depuis la veille. Il etait arrive a
dessein juste une heure apres le depart du _Ferruccio_. Ne trouvant pas
Therese a _la Croix de Malte_, et apprenant qu'elle avait du embarquer
Laurent a l'entree du golfe, il attendit son retour. Il vit revenir seul a
neuf heures le batelier qu'elle avait pris le matin, et qui appartenait a
l'hotel. Le brave garcon n'etait pas sujet a s'enivrer. Il avait ete
_surpris_ par une bouteille de Chypre que Laurent, apres avoir dine sur
l'herbe avec Therese, lui avait donnee, et qu'il avait bue pendant la
station des deux amis a l'ile de Palmaria, si bien qu'il se souvenait
assez bien d'avoir conduit le _signore_ et la _signora_ a bord du
_Ferruccio_, mais nullement d'avoir conduit ensuite la _signora_ a
Porto-Venere.
Si Palmer l'eut interroge avec calme, il eut bientot decouvert
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