n'existait pas. La chaine ne pouvait pas etre renouee. Laurent
ne songea meme pas a emouvoir les sens de Therese; mais, certain de
n'avoir pas perdu son coeur, il resolut de reprendre son estime. Il le
resolut, disons-nous? Non, il ne fit aucun calcul, il eprouva tout
naturellement le besoin de se relever aux yeux de cette femme qui avait
grandi dans son esprit. S'il l'eut imploree en ce moment, elle lui eut
resiste sans peine, elle l'eut peut-etre meprise. Il s'en garda bien, ou
plutot il n'y songea pas. Il fut trop bien inspire pour commettre une
pareille faute. Il prit de bonne foi et d'enthousiasme le role du coeur
brise, de l'enfant soumis et chatie, si bien qu'au bout du voyage, Therese
se demandait si ce n'etait pas lui la victime de ce fatal amour.
Pendant ces trois jours de tete-a-tete, Therese se trouva heureuse aupres
de Laurent. Elle voyait s'ouvrir une nouvelle ere de sentiments exquis,
une route inexploree, puisque, dans cette voie, elle avait jusque-la
marche seule. Elle savourait la douceur d'aimer sans remords, sans
inquietude et sans combat, un etre pale et faible, qui n'etait plus pour
ainsi dire qu'une ame, et qu'elle s'imaginait retrouver des cette vie,
dans le paradis des pures essences, comme on reve de se retrouver apres la
mort.
Et puis elle avait ete profondement froissee et humiliee par lui,
brouillee et irritee contre elle-meme; cet amour, accepte avec tant de
vaillance et de grandeur, lui avait laisse une fletrissure, comme eut fait
un entrainement de pure galanterie. Il etait venu un moment ou elle
s'etait meprisee de s'etre laisse si grossierement tromper. Elle se
sentait donc renaitre, et elle se reconciliait avec le passe en voyant
pousser sur ce tombeau de la passion ensevelie une fleur d'amitie
enthousiaste plus belle que la passion, meme dans ses meilleurs jours.
C'est le 10 mai qu'ils arriverent a la Spezzia, une petite ville
pittoresque a demi genoise et a demi florentine, au fond d'une rade bleue
et unie comme le plus beau ciel. Ce n'etait pas encore la saison des bains
de mer. Le pays etait une solitude enchantee, le temps frais et delicieux.
A la vue de cette belle eau tranquille, Laurent, que la voiture avait un
peu fatigue, se decida pour le voyage par mer. On s'informa des moyens de
transport; un petit bateau a vapeur partait pour Genes deux fois par
semaine. Therese fut contente que le jour du depart ne fut pas pour le
soir meme. C'etaient vingt-quatre heures de repos pou
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