r habitude,
repond en souriant Amelie: il m'a vue naitre; c'est le plus ancien
serviteur de ma mere; et le salut d'un octogenaire n'a jamais rien de
deshonorant.--Pour moi, ma chere, je ne laisse point ces sortes de gens
m'aborder, et je leur permets encore moins de m'adresser la parole.
Je les fais assister par ma femme de chambre, et me garde bien de me
compromettre en leur adressant un seul mot.--Mais la pere Daniel n'est
point un etranger pour moi: c'est un ancien jardinier de ma mere, qui,
pour recompense de ses longs services, lui a accorde une retraite qu'il
n'eut point acceptee, s'il n'eut pas cru la meriter: il est trop fier
pour cela; et, tel que tu le vois, Celestine, il ne supporterait pas
la moindre humiliation.--Mais, encore une fois, ma chere, on place
ces gens-la dans quelque hospice, et l'on evite, par ce moyen, leurs
fatigantes familiarites.--Un hospice pour un digne vieillard qui a servi
ma famille pendant un demi-siecle! ce serait l'humilier, lui faire
rompre ses cheres habitudes: ce serait lui donner la mort."
Quelque temps s'ecoula, pendant lequel les deux petites amies
s'entretenaient souvent du pauvre vieillard. Amelie le traitait toujours
comme un bon et fidele serviteur, tandis que Celestine ne cessait de
le regarder comme un etre inutile sur la terre, et de le traiter avec
dedain. Jamais elle ne repondait a son salut que par un regard plein de
mepris; et, si quelquefois le pere Daniel osait lui adresser la parole,
elle lui tournait le dos et s'eloignait sans lui repondre. Le bon
vieillard souriait de pitie, et semblait demander tout bas au ciel de
lui procurer l'occasion de prouver a la jeune orgueilleuse que, malgre
son grand age, il pouvait etre encore de quelque utilite.
La Providence lui permit de donner a Celestine une lecon tout a la fois
forte et touchante, qui levait servir a la convaincre que nous avons
tous besoin les uns des autres, quelle que soit la distance que le sort
semble avoir mise entre nous. On etait au mois de juillet; la chaleur
etait extreme. Les deux jeunes amies avaient coutume d'aller respirer
le frais dans une ile charmante, ombragee par des arbres tres-eleves,
entouree d'une eau limpide et courante, et dans laquelle est etablie une
grotte solitaire en face d'un moulin dont l'aspect est ravissant. Un
gazon epais y repand en tout temps une fraicheur salutaire; la suave
odeur des arbrisseaux en fleurs, dont les touffes nombreuses caressent
le visage, semble y attir
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