lus de
cent cinquante convives. Hortense et Celine portaient chacune un des
coins du voile blanc qui couvrait le present. L'offrande fut precedee
d'une chanson connue dans la Touraine de temps immemorial, et dans
laquelle les jeunes filles echangent avec la mariee des avis pleins
d'une moralite gaie et touchante, et dont mesdemoiselles de Saint-Marc
repetaient joyeusement l'antique et gai refrain avec leurs compagnes,
flattees autant qu'honorees de leur gracieuse condescendance. Mais, tout
en adressant aux deux charmantes soeurs les plus tendres hommages, elles
portaient sans cesse leurs regards sur Adrienne, qui, retiree dans
un coin et surchargee de la plus riche toilette, disait a sa mere
en souriant avec dedain: "Comment se peut-il que mesdemoiselles de
Saint-Marc, filles d'un colonel du genie, se compromettent au point de
se meler parmi les paysannes, de toucher leurs mains noires et gercees,
de respirer leur haleine qui sent l'ail, de se laisser presser dans ces
gros bras, dont la peau, noircie par le soleil, doit tacher leurs
robes, leurs ceintures?... Pour moi, je ne me compromettrai jamais a ce
point-la: je sais trop ce que je me dois a moi-meme.--Tiens, c' t'aut',
dit une des jeunes filles, qui s' croit compromise avec nous! parc' que
c'est riche, ca s'croit d' la premiere espece!--Ca fait rire d' pitie,
ajoute une seconde villageoise; vous verrez qu' ca nous r'garde comme
des brutes, qui n'ont ni coeur ni sentiment; mais j' li prouverons qu'en
fait d' ca j' la valons bien." En un mot, c'etait dans toute la noce un
murmure qui eut du ouvrir les yeux de la dedaigneuse, et surtout ceux de
sa mere, qu'aveuglaient sa sotte vanite et son excessive tendresse.
Le mecontentement general qu'inspirait Adrienne pendant le festin ne fit
qu'augmenter encore a la danse qui suivit ce joyeux banquet. Vainement
les plus gentils garcons dont se composait cette nombreuse reunion
vinrent l'inviter a leur accorder l'honneur de danser avec elle; la
begueule repondit que cet exercice l'excedait, la fatiguait. Mais,
peu de temps apres ce refus reitere, plusieurs messieurs de la ville,
attires par les ris de cette troupe folatre, vinrent se meler parmi
les danseurs, et soudain l'on vit Adrienne, oubliant les invitations
respectueuses des jeunes villageois, accepter la main d'un des etrangers
qui portait un ruban rouge a sa boutonniere, et paraitre a une
contredanse. Mais que de plaisanteries elle eut a supporter des paysans
dont elle
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