ennui
s'emparait d'elle, et souvent elle s'endormait jusqu'au moment ou l'on
venait l'avertir que le diner etait servi. Se reveillant alors en
sursaut, et s'agitant un peu pour la premiere fois de la journee, elle
arrangeait a la hate ses cheveux blonds, passait une robe elegante, et
descendait au salon.
Madame Darmont avait une soeur, veuve d'un negociant autrefois celebre
dans la ville de Tours, ou il faisait exister plus de cinquante
familles; mais, ruine par de fausses speculations, trompe par des
correspondants infideles, il etait mort de chagrin, en laissant une
modique existence a sa femme et a sa fille unique, agee d'environ treize
ans. Fanni du Cange, moins belle que sa cousine Octavie, mais plus vive,
plus gracieuse, avait pour mere une de ces femmes de merite qui cachent,
sous des principes austeres, l'amour maternel le plus vrai, le plus
prevoyant. Madame du Cange, passee de l'opulence a la plus stricte
mediocrite, avait supporte ce changement avec un noble courage; mais,
eclairee par l'experience, elle pretendait qu'une jeune personne devait
connaitre tous les details de l'administration d'une maison; que c'etait
le seul moyen de bien conduire un jour la sienne, de ne pas etre trompe
par ses gens, et de se suffire a soi-meme dans les diverses chances de
la fortune, dans tous les evenements de la vie. Aussi, des l'age de dix
ans, Fanni savait travailler en linge; et bientot il ne fut aucun objet
composant toute sa toilette qu'elle ne sut faire avec autant d'adresse
que de promptitude. Pour amener sa fille a ce precieux et rare avantage,
madame du Cange avait exige que, chaque annee, le jour de naissance de
Fanni, celle-ci parut devant elle vetue entierement du travail de ses
mains: "C'est, lui disait cette excellente mere, la plus grande preuve
de tendresse que tu puisses me donner; c'est le moyen le plus sur de me
faire cherir le jour ou j'eus le bonheur de te donner la vie."
Quoique l'habitation de M. Darmont fut le rendez-vous des personnes les
plus distinguees de la ville, madame du Cange la frequentait souvent.
Le tendre attachement qu'elle portait a sa soeur, dont le caractere
paraissait tout-a-fait oppose au sien, lui faisait surmonter ces
souffrances secretes, ces humiliations sans cesse renaissantes que
produit toujours la distance de fortune. Les deux jeunes cousines
s'aimaient de meme, bien qu'elles n'eussent ni les memes gouts ni les
memes habitudes. On voyait Fanni travailler souvent, dans l'
|