el elle voua
un attachement qui ne se dementit jamais. Elle se faisait un devoir de
soutenir ce vieillard dans sa marche; elle repetait sans cesse qu'elle
lui devait la vie. A partir de cette epoque, elle honora, secourut la
vieillesse, meme dans la classe la plus obscure; et, chaque fois qu'elle
voyait les jeunes personnes de son age rire d'un agriculteur courbe
sous le poids de l'age, ou repousser avec dedain un vieil indigent qui
implorait leur assistance, elle les blamait a son tour, et se rappelait
le _pere Daniel_.
LA SOURIS BLANCHE.
Laure Melval, agee de dix ans, reunissait tout ce qui peut faire
remarquer dans le monde: une education soignee, un heureux caractere,
une humeur enjouee, une sensibilite vraie, et surtout un attachement
sans bornes pour sa mere. Jamais la moindre humeur ne venait alterer
ses qualites aimables; et, si quelquefois un mouvement de contrariete
paraissait sur sa figure, il en disparaissait aussitot, comme un nuage
leger qui se glisse passagerement sous un ciel pur et serein.
Cependant, a travers tous ces avantages dont la nature avait pris
plaisir a doter Laure, on apercevait une faiblesse d'esprit qu'elle
portait jusqu'au ridicule: c'etait une frayeur pusillanime, une peur
insurmontable que lui causaient les animaux les plus petits, les
insectes memes qui, par leur nature autant que par leur petitesse, ne
peuvent faire le moindre mal. Apercevait-elle un papillon de nuit dans
le salon, voltigeant autour de la lampe allumee, elle poussait des cris
affreux, et s'imaginait que ce timide insecte, seulement trompe par
l'eclat de la lumiere, allait la devorer. Mais c'etait bien pis quand
par hasard une chauve-souris s'introduisait dans son appartement:
quoique le pauvre animal, d'une forme hideuse, il est vrai, ne cherchait
qu'une issue par laquelle il put se sauver, la jeune peureuse etait
convaincue qu'il n'etait parvenu jusqu'a elle que pour la saisir dans
ses serres rousses et velues, et l'emporter dans les airs. C'est en
vain que madame de Melval faisait observer a sa fille que cette
chauve-souris, grosse a peine comme la moitie de sa main, ne pouvait
soulever un poids deux mille fois plus pesant qu'elle. Laure, pale
et tremblante, soutenait que ce monstre affreux etait venu pour lui
arracher les yeux, ou tout au moins les oreilles; et, se couvrant alors
le visage de ses mains, elle se refugiait dans le sein de sa mere, et
ne relevait sa tete en hesitant que lorsque celle-ci
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